Les Réponses Constructives #2 : « Vous voulez exploiter toujours plus la nature ! »

*** RDV à Paris ce 18 décembre 2023 pour une nouvelle présentation de l’écologie évolutionnaire aux Arts et Métiers. Inscriptions ici ***

– Critique adressée :  « Ce que vous affirmez est philosophiquement questionnable. C’est une vision anthropocentrée de la nature, dans laquelle celle-ci est encore considérée comme une ressource à exploiter toujours plus. Vous parlez notamment de l’ «élargissement du champ exploitable» à l’espace, en citant Julian Simon. Ce serait pour vous une bonne nouvelle apparemment. »

RÉPONSE :

1°) Aimer l’évolution dans son ensemble

L’ambition du Courant Constructif n’est pas d’exploiter toujours plus la nature mais bien de la régénérer. Les solutions que nous valorisons, qui nous valent régulièrement d’être taxés de technosolutionnistes, ont essentiellement pour but de restaurer l’environnement et la biodiversité, non de leur nuire. Décarbonation, dépollution et régénération sont les trois piliers de notre engagement écologique. Notre concept de dépollution inclut la dépollution de l’atmosphère, des océans, des rivières et des sols vivants. Dans notre programme « La Transition Systémique »,  nous avons plusieurs propositions pour lutter contre la déforestation et soutenir les efforts de reforestation. J’ai également mentionné dans le premier article des Réponses Constructives que nous sommes signataires du Global Deal for Nature et soutenons la sanctuarisation de 30% de la nature à des fins de préservation de la biodiversité. Nous avons également de nombreuses propositions pour mettre fin à l’expérimentation animale, au trafic d’animaux et à l’abattage industriel, pour sortir au maximum de l’exploitation animale. Nous entendons lutter contre la souffrance animale et faire respecter le droit des animaux.

Les solutions que nous mettons en avant témoignent du fait que nous aimons profondément la nature. Nous voulons faire évoluer l’homme de sa posture de maître exploiteur à une posture d’élève et co-créateur de la nature. Car la nature nous semble dotée d’intelligence et cette intelligence systémique dépasse encore en de nombreux points celle de l’homme qui a tout à apprendre d’elle. Le premier des technosolutionnistes n’est-il pas la nature elle-même, ce gigantesque laboratoire R&D vieux de 3,8 milliard d’années,  qui a inventé le recyclage, les matériaux durables, la photosynthèse, l’alimentation saine, le vol aérien décarboné, les premiers systèmes écologiques de régulation thermique… ? La nature ne nous apparaît pas comme une matière exploitable mais bien comme une intelligence créatrice de laquelle nous avons à nous inspirer. Nous souhaitons vivre en symbiose avec elle et nous développer en tant qu’humanité dans le respect du vivant et de la beauté qui émane de la Vie.

Mais contrairement à de nombreux écologistes qui détestent d’autant plus l’homme qu’ils aiment la nature, nous aimons aussi profondément l’humain. Nous sommes admiratifs du chemin parcouru par notre espèce depuis l’acquisition de la bipédie. Et nous nous émerveillons chaque jour du génie humain. La légende des deux loups qui illustre l’esprit du Courant Constructif exprime l’idée qu’il y a le meilleur et le pire en l’homme, et qu’il nous faut nourrir le meilleur afin que les forces constructrives triomphent des forces destructrices présentes dans l’humanité.

Votre réaction face à la possibilité qu’a l’homme d’aller exploiter les ressources de l’espace témoigne d’un manque d’enthousiasme envers les prouesses du génie humain. Notre petite espèce descendue un jour des arbres pour explorer la savane s’apprête à présent à se déployer dans l’espace… n’est-ce pas là une chose formidable quand on songe à l’effort d’intelligence et de coopération qu’il nous faudra déployer pour y parvenir? Il est de bon ton dans les milieux écologistes de détester l’homme pour le mal qu’il cause à la nature. Pour nous, ce mal ne peut être diminué que par l’augmentation de la connaissance, de la créativité et de la sagesse. C’est à cela que nous nous dédions.

Ainsi, plutôt que d’opposer l’amour des hommes à l’amour de la nature, nous éprouvons un amour de l’évolution dans son ensemble. L’homme est le fruit de cette évolution, l’enfant récent de la nature, et il a à y déployer son potentiel comme d’autres règnes avant lui.  L’humanité doit poursuivre son aventure, qui est en réalité l’aventure de l’évolution elle-même, dans le respect du vivant et des équilibres subtils qui permettent la Vie. Et il nous semble que c’est seulement par un pas de plus dans l’évolution humaine, et non par une régression prémoderne, que nous parviendrons à préserver l’évolution du vivant.

2°) L’exploitation de la nature fait partie de la nature

Vous êtes probablement victime d’un jugement erroné qui se propage dans les milieux écologistes, d’après lequel l’exploitation de la nature serait foncièrement mauvaise en elle-même. Certains voient l’extraction de minerai comme un viol des entrailles de la terre-mère. Ce sont d’ailleurs parfois les mêmes qui garnissent leurs lieux de vie de pierres précieuses issues du ventre de cette même terre, acquises pour leurs vertus énergétiques.

En réalité l’exploitation de la nature fait partie de la nature, et il n’y a aucun mal en elle tant qu’elle ne nuit pas à la vie. Tout être vivant exploite les ressources de son environnement pour se maintenir en vie et se développer. Le célèbre physicien quantique Erwin Shrödinger expliquait que la vie se maintient dans un état d’ordre et de faible entropie, malgré les tendances naturelles vers le désordre dictées par la thermodynamique, en extrayant de l’ordre, sous forme d’énergie et de matière, de son environnement.

« Un organisme vivant augmente continuellement son entropie (…) et tend ainsi à se rapprocher de l’état dangereux d’entropie maximale, qui est la mort. Il ne peut s’en tenir à distance, c’est-à-dire vivant, qu’en puisant continuellement de son environnement de l’entropie négative, ce qui est quelque chose de très positif comme nous le verrons tout de suite. Ce dont un organisme se nourrit, c’est d’entropie négative. » Schrödinger, Qu’est-ce que la vie?

L’exploitation de l’environnement est donc propre au vivant. Ainsi, l’arbre exploite la lumière, l’eau du ciel et les nutriments du sol. L’herbivore exploite la ressource végétale. Le carnivore exploite la ressource animale… Le castor exploite la rivière en construisant ses barrages. Les abeilles exploitent les fleurs. Les reptiles exploitent le soleil pour se chauffer… Les fourmis font des élevages de pucerons pour exploiter le miélat qu’ils produisent. Les éléphants sont capables de transformer les forêts en savanes en abattant des arbres et en défrichant des zones pour les pâturages. Les loutres de mer exploitent les cailloux comme outil pour ouvrir les coquillages dont elles se régalent. Les singes capucins frappent des noix avec des pierres pour les ouvrir. Les parasites exploitent les êtres vivants pour se développer…

 

La chaîne alimentaire n’est elle-même qu’une immense chaîne d’exploitation des uns par les autres. Autrement dit l’exploitation de la nature fait partie de la nature. C’est une stratégie sélectionnée par l’évolution. Chez l’homme, elle  a simplement atteint d’autres proportions, du fait de son intelligence mentale, de sa conscience réflexive et de son aptitude à transmettre et mémoriser la connaissance de manière cumulative, mais cette aptitude n’en est pas moins naturelle. En libérant ses mains, la bipédie a donné à l’homme un organe de préhension sans précédent dans la nature, avec lequel il a pu commencer à analyser et manipuler le réel. C’est avec cet organe qu’il a pu tailler la pierre pour s’en faire des outils qui ont constitué les premières extensions de son corps, lui permettant d’exploiter la nature.

La modernité n’a pas inventé l’exploitation de la nature, elle l’a seulement systématisée, améliorée et déployée. Les premières preuves archéologiques de l’extraction minière remontent à la préhistoire, avec la découverte de mines de silex. Les humains brisaient le silex en morceaux tranchants pour l’utiliser comme grattoirs, couteaux et pointes de flèches. Des puits de mine anciens contenant du silex ont été découverts en France et en Grande-Bretagne, datant de la période néolithique. Certains pouvaient atteindre jusqu’à 100 mètres de profondeur.

Les preuves archéologiques montrent que les peuples autochtones vivant dans le Midwest américain étaient parmi les premiers au monde à extraire du métal pour en faire des outils. Il y a environ 8 500 ans, les habitants du Wisconsin créaient des pointes de projectiles et d’autres armes en cuivre. Les premières techniques d’extraction du cuivre impliquaient probablement la collecte de pépites errantes dans les lits de rivières, puis l’évolution vers une véritable extraction minière à partir des rochers le long des rives des Grands Lacs. Les gens creusaient également des puits profonds pour extraire le cuivre. Une méthode courante pour extraire le cuivre était la fragmentation thermique, qui consistait à chauffer des rochers près du lit rocheux avec du feu, puis à appliquer de l’eau, provoquant une rupture et une fragmentation rapides de la roche pour révéler le cuivre​.

L’exploitation des ressources terrestres par l’homme n’est qu’une façon plus complexe et évoluée d’aller chercher la calorie dans notre environnement. Les machines que ces ressources nous permettent de construire nous font économiser du temps et de l’énergie, donc de la calorie. Parce qu’il possède des mains associées à un mental ingénieux, l’homme peut creuser le sol plus profondément que n’importe quel animal en alliant ses outils à sa force physique, de sorte qu’il est en mesure d’étendre son exploitation au sous-sol. Mais l’exploitation de l’environnement fait partie du vivant. Elle n’est pas le fait d’une espèce intrue qui serait le cancer de la terre, comme le pensent certains collapsologues. L’homme n’est pas un être d’anti-nature, il poursuit, à un autre niveau, la logique du vivant qui est d’exploiter les ressources de son environnement pour se maintenir et se développer.

On peut donc considérer que le principe même d’exploitation n’est pas un mal en soi mais fait partie des stratégies du vivant pour persévérer dans son être. En revanche, les formes d’exploitation présentes dans la nature sont toutes durables et ne compromettent pas la vie des autres espèces. Par exemple, la chaîne alimentaire est un formidable équilibre systémique qui permet à chaque espèce de coexister, chaque espèce opérant de simples prélévements sur son environnement sans le saccager, sans l’épuiser ni en perturber l’équilibre écosystémique subtil.

A l’échelle de la nature, le mal ne réside donc pas purement et simplement dans l’exploitation en elle-même mais dans des formes d’exploitation non durables, destructrices de l’écosystème et de l’équilibre systémique subtil qui unit tous les êtres. Une exploitation renouvelable, circulaire et symbiotique par exemple, serait en harmonie avec la nature. Il s’en suit que la solution, pour l’homme, n’est évidemment pas de ne plus rien exploiter pour des raisons morales, ce qui ne tarderait pas à engendrer une profonde régression civilisationnelle, mais d’évoluer encore jusqu’à un niveau d’exploitation durable, reposant sur l’intégration des principes systémiques de la nature. Pour le dire autrement, l’homme doit encore gagner en intelligence et non pas renier son intelligence et sa connaissance accumulée pour revenir au stade de chasseur-cueilleur. Il doit élever son mental d’une rationalité instrumentale, génératrice d’une économie purement linéaire qui détruit l’environnement, à une rationalité systémique, qui lui permettra de concevoir des systèmes sages et circulaires, harmonisant la poursuite de l’évolution avec le respect de l’évolution passée et de la vie présente.

Comprenez donc qu’exploiter la nature ne veut pas nécessairement dire la détruire. Lorsque nous EXPLOITONS des sources d’énergie renouvelables comme l’énergie solaire, l’énergie éolienne, l’énergie géothermique ou marine, nous ne faisons que nous brancher sur forces de la nature pour en capter les flux à notre profit. Lorsque nous exploitons le CO2 atmosphérique, nous exploitons nos propres émissions carbonées, de sorte que nous les retirons de l’atmosphère, ce qui réduit le réchauffement climatique. Dans ce cas, l’exploitation devient quelque chose de positif pour la planète et la biodiversité.

Cessons donc d’être simplement contre l’exploitation de la nature, et travaillons en détail sur des formes d’exploitations durables. Car il n’est pas possible à l’homme de ne pas exploiter la nature. Que mangerions-nous? Comment nous chaufferions-nous? Comment habiterions-nous la terre? Comment nous déplacerions-nous? Comment communiquerions-nous? Comment nous soignerions-nous? Comment créerions-nous?

Même la belle culture amérindienne qui nous enseigne cette sagesse de l’harmonie avec la nature, reposait sur l’exploitation du bison. Un saint homme Lakota, John Fire Lame Deer, disait:

 

« Le bison nous a donné tout ce dont nous avions besoin. Sans cela, nous n’étions rien. Nos tipis étaient faits de sa peau. Sa peau était notre lit, notre couverture, notre manteau d’hiver. C’était notre tambour, palpitant toute la nuit, vivant, saint. C’est avec sa peau que nous avons fabriqué nos sacs d’eau. Sa chair nous a fortifiés, est devenue chair de notre chair. Pas la moindre partie n’a été gaspillée. Son estomac, une pierre chauffée au rouge, est devenu notre marmite à soupe. Ses cornes étaient nos cuillères, les os nos couteaux, nos poinçons et nos aiguilles pour femmes. C’est avec ses tendons que nous avons fabriqué nos cordes d’arc et nos fils. Ses côtes étaient transformées en traîneaux pour nos enfants, ses sabots en hochets. Son puissant crâne, avec la pipe appuyée contre lui, était notre autel sacré.

Vous ne considérez probablement pas les amérindiens comme un peuple d’odieux exploiteurs de la nature, n’est-ce pas? C’est que, ce qui pose problème dans l’exploitation de la nature n’est pas l’exploitation en elle-même, mais  le fait que cette exploitation ne soit pas durable, ne s’inscrive pas dans l’équilibre systémique de la nature. Les amérindiens exploitaient les ressources de leur environnement, mais sans les épuiser, sans les réifier, sans les gaspiller, ils exploitaient avec sagesse en somme. La solution n’est donc pas de cesser toute forme d’exploitation de la nature, mais plutôt d’évoluer au moyen du génie humain vers des formes d’exploitations durables, plus sages, basées sur une rationalité systémique plutôt que purement instrumentale.

3°) Absence d’écosystème vivant.

La lune, Mars et les astéroïdes sont des astres dépourvus de vie. Si ces astres doivent être respectés en tant qu’entités de notre cosmos, leur exploitation ne saurait leur causer de dommages. Elle ne saurait non plus avoir un impact négatif sur leurs écosystèmes et leur biodiversité, puisqu’ils n’en ont pas. En revanche, cette exploitation permettra de répondre aux besoins humains et d’aider notre espèce à poursuivre son évolution. Ces besoins humains si souvent dénoncés par les collapso-décroissants qui voudraient les limiter aux seuls besoins vitaux primaires, sans autre considération pour l’héritage de Maslow, nous voulons au contraire y répondre de manière durable. Car l’être humain n’est pas seulement fait pour survivre, il est fait pour exister, pour se développer, pour créer, pour exprimer son plein potentiel dans l’univers. Et si, pour ce faire, nous avons besoin d’exploiter la nature pour obtenir certains matériaux nécessaires à notre développement, il n’y a là aucun mal, seulement une responsabilité: que cette exploitation ne soit point destructrice du vivant, qu’elle ne nuise pas à l’équilibre subtil qui garantit les conditions de vie pour tous sur cette planète. L’exploitation minière spatiale est une partie de la solution pour aller dans ce sens. Il n’y a aucune objection éthique à cette exploitation dans la mesure où elle ne dessert aucune vie. Bien plutôt une telle prouesse pourrait décharger la terre de son exploitation et soulagerait ainsi nos écosystèmes tout en permettant à l’humanité de se développer.

Et nous y parviendrons un jour. Ce qui semble aujourd’hui encore relever de l’utopie technologique sera, dans quelques décennies, la réalité de notre espèce. Les prospectivistes observent déjà les premiers signes de cet avenir en train d’émerger:

      • Selon un rapport de l’entreprise de conseil Fact.MR, le marché de l’exploitation minière spatiale devrait atteindre 7,61 milliards de dollars américains d’ici 2033, contre 1,71 milliard en 2023. Cela représente un taux de croissance annuel composé (TCAC) de 16,1 % sur dix ans.
      • L’Asteroid Mining Corporation (Royaume-Uni) s’est donnée pour mission de réaliser une étude spectrale de 5 000 astéroïdes, identifiant principalement les candidats les plus précieux pour des opérations minières potentielles.
      • L’entreprise chinoise Origin Space a réalisé un progrès significatif avec le lancement de NEO-1, son premier engin spatial commercial destiné à l’exploitation des ressources dans l’espace. Ce vaisseau est équipé pour mener des opérations d’extraction sur différents corps célestes, y compris des astéroïdes et la surface lunaire.

      • Actuellement, des drones spécialisés sont testés pour des missions d’exploration, incluant la collecte d’échantillons dans le cadre de l’exploitation minière spatiale. D’autres entreprises telles que Ispace, Kleos Space et Offworld travaillent activement sur le développement de systèmes distants et autonomes pour l’exploration de l’espace.
      • La Chine, la Russie, la  Nasa, l’Agence Spatiale Européenne et les entreprises du New Space telles que SpaceX et Blue Origin se préparent à l’exploitation des ressources lunaires, dont le fameux Helium 3 nécessaire aux futures centrales à fusion nucléaire qui fourniront à l’humanité une énergie abondante, décarbonée et sans déchets nucléaires. Cette énergie pourra notamment servir au déploiement d’une industrie mondiale de capture et valorisation du CO2 et du méthane atmosphériques, une industrie gourmande en énergie, bien qu’essentielle pour dépolluer l’atmosphère et inverser le réchauffement climatique. Comme quoi, certains types d’extractivisme comme l’extraction d’Helium 3 sur le sol lunaire pourraient être parfaitement utiles à la transition écologique et contribuer à la protection de la vie sur terre.

4°) Distinguer faisabilité et soutenabilité

Le fait de considérer les ressources comme exponentielles n’empêche pas de s’opposer à certains projets extractivistes pour des raisons de soutenabilité écologique et sociale. Vous confondez la faisabilité physique avec la soutenabilité morale. C’est là une des marques de la pensée collapso-décroissante, qui fait trop souvent passer ses réticences morales pour des impossibilités physiques. Or aucun principe de la thermodynamique ni aucune loi géophysique ne nous interdit l’exploitation minière de l’espace. Par conséquent la limite actuelle des ressources accessibles n’a rien de physique, elle est seulement relative au niveau de connaissance atteint aujourd’hui par l’humanité. La différence, c’est qu’une limite de la connaissance peut être et sera dépassée, tandis qu’une limite physique agit comme une fatalité.

Il s’en suit deux conceptions de la sagesse humaine radicalement opposée: dans le premier cas la sagesse consiste dans l’art de prendre pour sagesse les limites imposées par la nature à l’homme et de condamner l’hybris transgressive des innovateurs.  Dans l’autre cas, elle consiste à fournir l’effort désintéressé nécessaire à l’évolution de la connaissance et de la condition humaine. La première conduit à une humanité stationnaire, arrêtée à son adolescence techno-scientifique, la seconde à une humanité évolutionnaire, se préparant à entrer dans une exponentielle de progrès extérieurs et intérieurs. Trop souvent encore aujourd’hui, la sagesse est synonyme d’auto-limitation, et l’on néglige la sagesse de la créativité, qui a mû notre espèce tout au long des étapes de son évolution et l’a portée jusqu’ici. C’est que la sagesse a toujours été associée à l’humilité. Malheureusement, on a trop souvent tendance à prendre pour humilité la petitesse d’esprit de ceux qui ne veulent pas évoluer et trouvent à cela quelques justifications théoriques, alors que la véritable humilité a toujours reposé dans l’ardeur du travail en vue du dépassement de soi.

Ainsi donc, lorsque je cite les arguments de Julian Simon contre la thèse des ressources limitées, mon but n’est pas moral, mais théorique. Il s’agit de démontrer que les dites limites sont relatives à la connaissance et non à la géophysique, ce qui change tout en matière de vision écologique. La thèse limitiste soutient que:

1°) Nous sommes limités à la terre,

2°) Donc nous n’avons accès qu’aux ressources terrestres

3°) Or les ressources terrestres sont limitées

4°) Donc une croissance infinie n’est pas possible

5°) Donc nous devons décroître.

A cela, nous pouvons objecter, avec Simon, que:

1°) Notre limitation à la terre n’est pas physique, mais relative à notre niveau de connaissance: nous sommes déjà allés dans l’espace, nous pouvons physiquement nous échapper de l’orbite de la terre.

2°) Notre champ d’exploitation n’est pas nécessairement identique à notre champ d’existence: nous pouvons envoyer des robots exploiter l’espace pour nous.

3°) Nous pourrons un jour ramener jusqu’à nous des astéroïdes entiers plutôt que d’aller les exploiter là où ils sont, grâce aux techniques de remorquage d’astéroïde. (Ces capacités émergentes sont déjà en cours de développement du côté de la Nasa.) 

En somme, les limitistes prennent leurs croyances limitantes pour des limites physiques. C’est comme si je disais: nous sommes des français, or la France est un espace limité, donc les ressources sont limitées. Il suffirait que j’élargisse mon identité pour mettre fin à cette limite. De même, parce que nous nous considérons comme terriens, nous pensons que les ressources sont limitées à la terre. Mais si nous nous identifiions comme solariens, habitants du système solaire, nous pourrions parfaitement envisager que toutes les ressources du système solaire participent de notre champ exploitable. La limite physique se révèle alors n’être qu’une limite technique liée aux limites de notre connaissance pour atteindre ces ressources. Or la connaissance connaît actuellement une courbe de développement exponentiel, de sorte que ce qui paraît impossible est déjà en train d’apparaître et deviendra la norme dans quelques décennies. Le temps que cela prendra dépend d’ailleurs en grande partie du niveau d’investissement que nous y mettrons en tant qu’humanité, et se trouverait grandement accéléré par l’influence d’un volontarisme culturel de type constructif, quand il pourrait se prolonger à l’infini en présence d’une société collapso-décroissante qui désinvestirait ces enjeux. Comme la vitesse de la transition, la vitesse de la conquête spatiale dépend des conditions culturelles de l’innovation.

5°) Exploitation des fossiles et du lithium

Revenons maintenant aux ressources terrestres. Là encore, il ne faut pas confondre faisabilité et soutenabilité. Le fait que les limites soient relatives à la connaissance et non à la physique n’induit en aucune manière une justification morale de tous les ravages extractivistes causés sur terre. Je rappelle que le Courant Constructif est contre les exploitations de gaz de schiste et de sables bitumineux. Notre programme défend l’interdiction pure et simple de l’extraction pétrolière et charbonnière mondialement en 2035. Nous soutenons à ce titre le Traité de non-prolifération des combustibles fossiles, lancé par 101 prix Nobel. De même que nous soutenons la proposition du Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, visant à réorienter les subventions énergétiques des combustibles fossiles vers les énergies renouvelables. Et nous valorisons activement les efforts d’innovation dans les énergies renouvelables qui, en faisant baisser les coûts, ont permis de rendre ces énergies plus compétitives que les fossiles, de sorte que l’extraction de pétrole et de charbon pourrait perdre son intérêt rapidement.

Nous pouvons donc affirmer qu’il est encore possible de découvrir de nouveaux gisements de ressources fossiles tout en nous positionnant contre ces projets d’exploitation fossile pour des raisons écologiques. Or, dans votre réponse, vous supposez que parce que nous démontrons que le périmètre exploitable peut être élargi, nous sommes favorable à toute forme d’exploitation et de saccage. Mais faisabilité et soutenabilité sont deux choses différentes, l’une ne découle pas nécessairement de l’autre. On peut penser que les ressources sont exponentielles car relatives à l’évolution de la connaissance, et désapprouver certaines formes d’exploitation réalisables, pour des motifs écologiques.

Thierry Curty, le co-président du Courant Constructif, a par exemple dénoncé publiquement le projet Rose Lithium Tantale, qui vise à exploiter le lithium dans le Nord-du-Québec. Le projet, évalué à 341 millions de dollars, implique la construction d’une mine à ciel ouvert et d’un complexe industriel pour traiter 1,61 million de tonnes de minerai, principalement du lithium, de 2022 à 2039. Ce projet nécessite l’assèchement de deux lacs sur 12,4 hectares et aura un impact sur les cours d’eau et les milieux humides environnants. La société minière propose aux communautés autochtones de leur donner les poissons des lacs qu’elle envisage d’assécher. Le projet entraînera la disparition de certains cours d’eau et affectera indirectement environ 1000 hectares de milieux humides. La mine produira environ 84 283 tonnes de CO2 par an, équivalent aux émissions de 21 000 voitures. Pour construire la fosse de la mine, 276 millions de litres d’eau seront pompés, et une technique de pêche électrique sera utilisée pour capturer les poissons. Des consultations ont eu lieu avec des communautés autochtones, qui ont exprimé des préoccupations majeures concernant les effets potentiels de la mine sur l’environnement.

Nous sommes naturellement contre ce genre de projets nocifs sur tous les plans. Notre programme soutient qu’il faut « lutter contre le lithium qui s’installe comme une industrie d’avenir porté par l’appétit spéculatif. Le lithium ne doit être qu’une technologie transitoire. N’étant ni la seule ni la meilleure technologie, il convient évidemment d’aller vers le moins de batteries possible, les plus écologiques possible, et non pas de se retrouver avec une industrie minière similaire à celle du 20ème siècle s’il est possible d’y surseoir. Un objectif à terme doit être fixé pour laisser le temps aux économies émergentes de profiter de la manne pour se développer dans le cadre du processus de mondialisation, que cette évolution vers la sortie du tout-lithium ne se produise pas au détriment de l’humain.»

6°) Alternatives et recyclage

Je remarque que vous portez votre attention exclusivement sur le principe d’élargissement du périmètre exploitable, et ne faites pas mention des deux autres arguments mis en avant par Julian Simon pour déconstruire la thèse limitiste: les alternatives et le recyclage. Si, lorsqu’une ressource en vient à s’épuiser, l’humanité peut, constamment, lui trouver une ou des alternatives grâce aux progrès de la connaissance, alors l’horizon de la finitude se trouve reporté indéfiniment. Ces alternatives peuvent, au passage, être plus écologiques, comme dans le cas des énergies renouvelables ou des carburants neutres à base de CO2.

Par ailleurs, lorsque l’extraction d’une ressource du sous-sol touche à son terme, cette ressource n’a pas pour autant disparue, elle est contenue soit dans les objets qui composent l’infrastructure civilisationnelle, soit dans les décharges de l’économie linéaire. Dans les deux cas, elle pourra être récupérée et recyclée pour de nouveaux usages, grâce, là encore, aux progrès de la connaissance en matière de recyclage. Le principe de circularité met en boucle la finitude de l’économie linéaire pour la rendre potentiellement infinie.

Ainsi donc, dans les deux cas, écologie rime avec ressources exponentielles : les alternatives peuvent être écologiques et le principe de circularité met fin à la consumation de la nature causée par l’économie linéaire. Au Courant Constructif, nous privilégions toujours ces deux options avant de soutenir de nouvelles extractions terrestres. En matière d’alternatives, nous soutenons par exemple les efforts de Recherche & Développement dans les batteries sans lithium, telles que les batteries au sodium, les batteries à proton ou les batteries à carbone qui ne nécessitent pas d’extractivisme lourd et polluant. Nous documentons par ailleurs toutes les avancées faites en matière de recyclage des batteries. Là encore, la désinformation bat son plein et les percées, bien que réelles, sont très peu valorisées.

Nous sommes également favorables à des politiques incitatives permettant de rendre le recyclage de la ressource plus compétitif que son extraction linéaire. En rendant le recyclage plus attractif sur le marché, on incite ainsi les entreprises et les consommateurs à opter pour ce dernier plutôt que pour l’extraction de nouvelles ressources.

Enfin, nous mettons en avant les alternatives à base de CO2 telles que la fibre de carbone à base de CO2 atmosphérique, qui permettrait de remplacer l’acier et l’aluminium, diminuant ainsi l’extractivisme terrestre tout en dépolluant l’atmosphère. Le CO2 pourrait aussi nous permettre de diminuer l’extraction de minerai pour le stockage de l’énergie. On peut en effet désormais l’utiliser pour stocker les énergies renouvelables, comme le fait Energy-Dome en Italie. L’extraction et la valorisation du CO2 de l’amotphère pourrait, de multiples manières, réduire l’extraction de minerais du sous-sol terrestre. Si nous parvenons à développer des filières rentables de valorisation du CO2, nous créerons un cercle vertueux transformant l’intérêt financier en levier de la transition écologique, ce qui permettra à ces filières de se déployer rapidement.

C’est donc par l’intelligence et la créativité et non par la morale et la religiosité, que nous parviendrons à réduire l’extractivisme. Une écologie morale implique d’attendre que tous les êtres humains s’éveillent et changent un par un leurs comportements pour se priver de ce qu’ils désirent, ce qui n’est évidemment pas réaliste à moins de contraindre les hommes par des mesures dictatoriales. L’écologie créative, elle, résout le problème une fois pour toutes et pour tous, de sorte que même les plus immoraux des hommes se retrouvent malgré eux à avoir des comportements vertueux en utilisant des systèmes collectifs décarbonés et dépolluants. La morale intervient alors sous forme de cadre législatif favorisant économiquement les alternatives écologiques, de sorte que l’intérêt financier personnel des consommateurs se voit transformé en un puissant levier de transition. Et vous admettrez qu’il s’agit là d’un levier beaucoup plus fiable que la morale personnelle des consommateurs. Vous voyez donc comment la logique systémique, loin d’être immorale, parvient à moraliser le système grâce à l’inventivité humaine.  C’est une autre façon de penser, une autre écologie, différente de celle qui a échoué depuis 60 ans.

7°) Exploitations minières durables

La créativité humaine ne s’exerce pas seulement dans le domaine des alternatives et du recyclage. Nous devons également innover pour faire évoluer nos procédés d’extraction vers des formes plus durables. Car l’humanité va continuer d’extraire certaines ressources du sous-sol terrestre nécessaire à son développement. Nous pouvons diminuer l’extractivisme grâce aux alternatives et au recyclage. Mais penser que l’humanité pourrait cesser d’exploiter les minerais terrestres pour des raisons écologiques revient à s’illusionner sur nos capacités morales pour au final laisser inchangées des pratiques destructrices du fait d’un idéalisme purement oppositionnel. Au Courant Constructif, nous soutenons au contraire l’effort d’innovation en matière d’exploitation minière durable.

Cet effort n’est pas simplement réductible à du greenwashing. Les principes de sustainable mining font une vraie différence lorsqu’ils sont appliqués de manière réellement systémique: gestion des déchets, décontamination et stockage sécurisé des matériaux toxiques, gestion des eaux contaminées en vue de préserver aquifères, restauration des sites miniers après exploitation, protection de la biodiversité et des écosystèmes locaux, électrification des machines et optimisation de l’efficacité énergétique en vue de réduire l’emprunte carbone, triage automatisé du minerai grâce aux technologies de capteur, respect des communautés locales, gestion des risques environnementaux, respect des lois et normes internationales en matière environnementale. Quand ces principes sont réellement respectés, ils font une différence. Nous soutenons la mise en place de cadres législatifs au niveau national et international pour imposer ces pratiques comme norme incontournable de toute extraction minière.

 

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J’ajouterai enfin deux dernières remarques qui relèvent d’une pensée à plus long terme et qui auront pour but d’ouvrir les esprits. Les solutions qui sont ici mentionnées relèvent de possibilités futures qui se concrétiseront vers la fin de ce siècle et qui joueront leur rôle dans la seconde partie de la résolution de la crise écologique, tout en continuant leur développement bien au-delà de ce siècle. Ces éléments peuvent déjà être considérés à titre théoriques et sont utiles pour déjouer certains pièges de la pensée limitiste qui pêche, à bien des égards, par son manque de puissance visionnaire. Cette pensée étant tournée vers le passé, elle se révèle incapable d’envisager les possibilités vertigineuses que l’exponentielle de la connaissance nous réserve dans l’avenir. 

8°) Dépassement de l’extractivisme

L’extractivisme sera un jour dépassé. Non pas par une évolution morale de l’humanité qui la rendrait capable de se priver de développement par respect de la nature, mais grâce à l’évolution exponentielle de la connaissance qui permettra à notre espèce d’obtenir sa ressource autrement que par l’exploitation du sous-sol terrestre. Notre espèce va d’abord apprendre à exploiter les ressources de l’espace, ce qui déportera les pratiques extractivistes hors des frontières terrestres. Mais ce n’est là que la première étape.

L’exponentielle de la connaissance rendue possible par le développement de l’Intelligence Artificielle et de l’informatique quantique amènera l’humanité jusqu’à la maîtrise de l’atome, avec deux conséquences majeures. 1°) Nous saurons recycler la ressource parfaitement, molécule par molécule, atome par atome, ce qui garantira une véritable économie circulaire, rendant de ce fait l’extraction moins nécessaire. 2°) L’humanité développera progressivement la capacité de synthétiser elle-même la ressource atome par atome. Elle produira les atomes dont elle a besoin par transmutation moléculaire, modifiant des atomes comme on modifie aujourd’hui des gènes.

Là encore, les premiers signes de ces capacités émergentes sont déjà là. On sait déjà, depuis 2012, couper et modifier l’ADN grâce aux ciseaux CRISPR-Cas9. Mais l’on sait aussi, depuis 2020, utiliser des pinces optiques pour manipuler individuellement des atomes. Une équipe de chercheurs de l’université d’Otago en Nouvelle Zélande a ainsi réussi à isoler trois atomes de rubidium dans des pièges à pinces optiques séparés. Elle a ensuite rapproché ces atomes avant d’enlever deux des pièges pour permettre une collision dans le piège restant. De tels procédés permettent aux scientifiques d’observer les atomes en train d’interagir et de se recombiner, ce qui est une étape clé dans la maitrise de la synthèse atomique.

Une autre équipe internationale de chercheurs dirigée par l’IBM Research Lab de Zürich (Suisse) a réussi à réarranger les atomes au sein d’une molécule en modifiant sélectivement les liaisons atomiques. Ils ont utilisé une pointe de microscope à effet tunnel pour manipuler les atomes et briser certaines liaisons atomiques, puis ont appliqué une tension spécifique pour créer de nouvelles liaisons, ce qui a permis de créer de nouvelles configurations moléculaires. En d’autres termes, ils ont réagencé les atomes dans une molécule, ce qui a conduit à la formation de molécules possédant des propriétés différentes à partir de la même substance de départ.

Saisissant la portée d’une telle percée dans un article visionnaire, Thierry Curty commente:

«Ce procédé n’est que la première étape de la future nucléosynthèse qui permettra de créer les atomes nécessaires à la création de la matière recherchée à partir des atomes contenus dans l’environnement. (…) Cela implique qu’un jour les synthétiseurs, tels qu’on en voit dans les séries de science-fiction, en particulier Star Trek, existeront bel et bien. Il suffira de disposer d’une source d’énergie et de documenter la matière que l’on cherche à obtenir pour que la synthèse se fasse et fournisse ce dont nous avons besoin. »

Nous voyons là se dessiner les premiers signes d’un dépassement de l’ère extractiviste vers l’âge de la synthèse. Dans un futur peut-être pas si lointain, l’humanité produira les ressources dont elle a besoin par synthèse atomique. Les ressources ne seront alors plus limitées aux sous-sols extractibles, qu’ils soient terrestres ou spatiaux. Ce qui sera une autre manière de vérifier encore une fois que la limitation des ressources n’est pas relative aux limites de la matière terrestre mais aux limites de la connaissance.

Nous pourrions ainsi, grâce à ces procédés de transmutation moléculaire, synthétiser les minerais que nous extrayons aujourd’hui. Toutefois, les choses ne devraient pas tout à fait se passer ainsi, car d’ici là d’innombrables matériaux vont être découverts par l’IA et l’informatique quantique, de sorte que ce seront ces matériaux aux propriétés exceptionnelles, issus de l’âge de la synthèse, qui seront synthétisés, plutôt que les minerais naturels de l’ère extractiviste.

La vague de découvertes exponentielles de nouveaux matériaux par l’IA, que j’avais annoncé dans un article de 2019, a déjà commencé. DeepMind, la filiale de Google spécialisée dans le deep learning, a récemment réalisé une percée significative dans la découverte de nouveaux matériaux grâce à l’intelligence artificielle. Son outil d’IA, Graph Networks for Materials Exploration (GNoME), a identifié 2,2 millions de nouveaux cristaux, dont 380 000 sont considérés comme stables et donc prometteurs pour de futures technologies telles que les superconducteurs et les batteries de nouvelle génération. Cette découverte représente l’équivalent de près de 800 ans de connaissances accumulées. Cette avancée ouvre des possibilités pour une synthèse de matériaux guidée par l’IA et pourrait jouer un rôle crucial dans le développement de technologies plus durables​.

L’âge de la synthèse marquera un tournant fondamental dans la relation de l’homme avec la nature. Dans ce nouveau paradigme civilisationnel, l’homme évoluera de la posture de maître et possesseur de la nature, caractéristique de la modernité, à celle d’élève et co-créateur de la nature. Cette transformation symbolise un profond changement : l’homme n’est alors plus seulement un produit avancé de l’évolution, mais devient un agent actif et conscient de celle-ci. Cette transition du statut de créature au statut de co-créateur implique une maîtrise approfondie de l’infiniment petit, en même temps qu’une sagesse accrue pour pouvoir interagir avec l’évolution dans le respect de ses lois systémiques et de ses fondements holarchiques. C’est ce que nous avons commencé à apprendre et c’est là le seul véritable horizon de dépassement de l’extractivisme. Nous parlons là toutefois du long terme. Il ne s’agit ni de nier ces possibilité futures, ni de faire reposer sur elles tous nos espoirs pour éviter l’effondrement. Nous les évoquons seulement à titre théorique pour réfuter la thèse limitiste, qui n’entrevoit la ressource que sous l’angle de l’exploitation de matières premières terrestres.

9°) Économie de la connaissance et miniaturisation

L’âge de la connaissance dans lequel nous entrons, qui précède l’âge de la synthèse, contient déjà une évolution notable vis-à-vis de la problématique extractiviste dans la mesure où il augmente la composante immatérielle de la ressource. J’ai expliqué de nombreuses fois qu’une ressource n’est pas simplement une matière brute présente dans la nature, comme nous le laisse supposer la notion de ressource naturelle, car pour qu’une matière brute présente dans la nature devienne une ressource, il faut que l’humanité développe la connaissance nécessaire à son exploitation. Cela va de la découverte des propriétés utiles de la dite substance, aux capacités techniques d’extraction, de transformation, de production industrielle, de transport et d’implémentation dans le corps social. En ce sens, une ressource naturelle est toujours déjà culturelle. Ce que l’on peut résumer par la formule suivante:

Ressource = Matière + Connaissance

Or le ratio Matière / Connaissance évolue dans le temps: la quantité d’extraction de matière brute nécessaire par unité produite diminue au fur et à mesure que la connaissance de l’humanité augmente. De sorte que le ratio Matière / Connaissance finit par s’inverser dans le temps avec l’évolution humaine. L’âge de la connaissance définit ce moment où la connaissance devient prédominante sur la matière dans la composition de la ressource, de sorte que l’extractivisme terrestre par unité produite baisse tendantiellement alors que la ressource globale, elle, augmente.

On peut supposer que dans un premier temps le développement de la connaissance permettra de passer d’un extractivisme sous-terrain à un extractivisme de surface allant de la capture et valorisation du CO2 et du méthane atmosphérique à l’extraction de minerais des décharges de par le monde, en passant par la transformation de l’hydrogène de l’eau en hydrogène métallique et l’exploitation des minerais de l’espace. Dans cette perspective, nous apprendrons également à substituer de plus en plus aux matières extraites des sous-sols des matériaux renouvelables tels que le bois, le bambou, la fibre végétale, le champignon, l’algue, le caoutchouc, la laine ou les biomatériaux bactériens.

Les développement ultérieurs de la connaissance pousseront plus loin nos capacités, nous précipitant dans l’âge de la synthèse. L’ingéniérie génétique permettra de créer de nouvelles espèces, de nouveaux biomatériaux bactériens aux propriétés utiles pour l’homme et l’environnement. Enfin nous apprendrons à synthétiser les molécules et atomes dont nous avons besoin pour produire les matériaux grâce à des synthétiseurs d’échelle microscopique couplés à des technologies d’impression 3D.

Ce couplage de la ressource avec la connaissance a une conséquence majeure. Car si les ressources naturelles sont en quantité finies sur la terre, la connaissance, elle, est infinie et tend à s’accroître de manière exponentielle. Il est intéressant à cet égard de se pencher sur la loi du retour accéléré identifiée par Ray Kurzweil, qui stipule que l’utilisation de technologies dont la croissance est exponentielle, permet, lorsqu’elle est le moyen d’étude d’un sujet, de faire progresser la connaissance du dit sujet de façon également exponentielle. Kurzweil observe un élargissement de la loi de Moore aux technologies NBIC qui servent désormais de base à l’acquisition de la connaissance dans plusieurs domaines, et qui connaissent à leur tour un développement exponentiel. De sorte que la connaissance, étant désormais couplée à ces technologies en développement exponentiel, entre elle-même dans une phase de développement exponentiel.

Et l’on peut prolonger cet effet d’exponentialité à la ressource elle-même, à la composition de laquelle, on l’a vu, elle participe. Si l’on considère que la connaissance est désormais l’élément prépondérant dans la composition de la ressource et que c’est désormais elle, et non pas l’exploration physique des sous-sols terrestres, qui détermine la quantité de découvertes en matière de ressources, le fait que cette même connaissance soit entrée dans une phase de croissance exponentielle induit automatiquement un développement exponentiel consécutif de la ressource elle-même. Autrement dit, l’humanité devrait, au fur et à mesure qu’elle entre dans l’âge de la connaissance, disposer non pas de moins en moins de ressources, comme le prédisent les prophètes effondristes, mais de plus en plus. 

Mais cette exponentielle de connaissance s’appliquera aussi aux conditions d’obtention de la ressource, qui deviendront de plus en plus durables : par la miniaturisation des matériaux, par les progrès exponentiels en matière de recyclage, par des procédés d’extraction de plus en plus durables, par le développement d’alternatives et de ressources renouvelables, par l’exploitation minière de l’espace plutôt que du sous-sol terrestre. L’âge de la connaissance va donc augmenter la ressource de l’humanité par d’autres moyens que l’extractivisme terrestre. En accélérant donc l’entrée dans cet âge, nous ouvrirons des possibilités insoupçonnées à ce jour, qui allègeront le poids environnemental de l’extractivisme.

C’est en ce sens que le Courant Constructif défend un volontarisme international visant à appliquer le potentiel de l’IA à la découverte de solutions aux enjeux écologiques afin d’accélérer les avancées solutionnistes, dans le cadre du projet WORSEC (World Organization for Research on Solutions to the Environmental Crisis). Nouveaux matériaux écologiques, nouvelles sources d’énergie durables, nouveaux procédés de capture et valorisation des gaz à effet de serre, alternatives aux pesticides, OGM à portée écologique, solutions d’électrification, dépollution des terres et des océans, techniques optimales de reforestation… l’IA pourrait produire une croissance exponentielle dans la plupart des champs de l’innovation durable, pour peu que l’humanité décide d’appliquer ce nouveau pharmakon dans un sens constructif.

Benjamin Rodier

 

Prochaines Réponses Constructives à suivre:

  • Réponse #3 : D’éco à évo: sur le supposé anthropocentrisme de Courant Constructif
  • Réponses #4 : « Vous méprisez les limites planétaires ! »
  • Réponses #5 : « Vous faites du technosolutionnisme à outrance ! « 

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