Le travail, comprendre la nécessité d’avoir un emploi pour vivre, seule fonction humaine possible actuellement pour le commun des mortels en âge d’actif, empêche la mobilisation. Toutes les mobilisations sont concernées, qu’elles soient sociales ou écologiques et ce pour tout un tas de raisons. Le travail est obnubilant, il focalise la pensée de manière centrale et multilatérale. Il implique une organisation, des efforts, divers types de souffrances, d’autant qu’il est incontournable, la survie en dépend. A un point tel que la conscience des conséquences de le perdre induit qu’il est la première préoccupation de la majorité de la population. Ce pourrait être d’avoir un accident de la route ou de développer un cancer, mais non, la première préoccupation de la majorité, c’est l’emploi. Une préoccupation si contraignante qu’une grosse proportion de la population salariée est sous anti-dépresseurs. Moins du tiers des salariés se déclare heureux au travail, s’y sentant utile et épanoui. Un tiers supporte son travail, un tiers ne le supporte tout simplement pas. Et encore, dans les premières catégories il n’est souvent pas nécessaire de tarabuster longtemps pour que finalement le biais cognitif établi pour se convaincre du bien-fondé de notre condition, afin de la rendre moralement supportable, s’effondre lamentablement et que la vérité émerge, généralement de manière explosive. J’en ai fait maintes fois la démonstration.
Lorsque l’on travaille, le temps de repos est totalement dévolu à la préparation au retour au travail. Le soir, la nuit, les quelques minutes le matin pour déjeuner à pousser les enfants pour qu’ils avancent en préparant leurs affaires avant de les amener à l’école avant d’aller prendre son poste pour une dure journée dont on sera si fier lorsqu’on nous posera la question ou lorsque l’on sera confronté au feignant miséreux percevant une pitance sociale copieusement gratifié de notre mépris. Les week-ends, vacances, jours fériés, sont intégralement consacrés à la préparation au retour au travail. Aucun moment n’est disponible pour une mobilisation constructive prégnante. Toute mobilisation se limitera à une petite action locale avec en arrière-plan la secrète idée égocentrique autosatisfaisante du sentiment de partage, de cordialité et de devoir accompli en décompressant.
L’adhésion à l’association bouliste municipale ou la participation à la tenue de la buvette lors des matchs de foot organisés par l’équipe du/de la cadet.tte sont des fonctions qui relèvent du rite fonctionnel, au même titre que le lever à heure fixe, la douche à heure fixe, le café à heure fixe, attacher les souliers du/de la benjamin.e, faire une dernière remontrance à l’impénitent.e ainé.e ado qui fait preuve d’une ultime résistance. Ou encore le pique-nique familial le dimanche, le séjour à la montagne en posant des RTT pour rallonger le week-end, les vacances à la mer. Tous ces rites n’ont pas pour rôle de rassurer, mais juste d’assurer le fonctionnement nucléaire du cercle tribal en répondant tant que faire se peut aux problématiques courantes. Les factures doivent être réglées, le crédit de l’appartement doit être remboursé et il n’y a pas d’alternative au salaire pour ce faire, ce qui implique une constance perpétuelle durant des décennies et donc une régularité pour ne pas risquer de déstabiliser cette constance. La mobilisation, sous n’importe quelle forme, impliquant qu’à un moment donné elle va entrer en confrontation avec la nécessité d’un repos ou un temps de travail, rend toute action impossible, même avec la meilleure volonté du monde. Une mobilisation, même non militante, implique une organisation que seuls quelques-uns peuvent s’offrir.
Il n’est pas anodin de constater que l’essentiel des conseils municipaux est constitué majoritairement d’indépendants. Des entrepreneurs, des professions libérales, des agriculteurs, des représentants de commerce, pas d’ouvriers, qui n’ont tout simplement pas le temps libre à y consacrer et ne peuvent pas s’organiser pour cela. C’est d’ailleurs une des problématiques fondamentales de notre société contemporaine où de facto ce sont des gens qui ne sont pas concernés ou informés ou conscients de la réalité des problèmes de la vie salariée qui régissent la vie de tous, augmentant systémiquement cette nécessité d’un comportement mécanique chez le plus grand nombre qui devrait se mobiliser pour résoudre ces problèmes, l’excluant du coup de cette possibilité.
Par ailleurs, le travail est une invention du vingtième siècle, avec la société de consommation. Jusqu’à la Grande dépression de 1929, seule une petite frange de la population avait un emploi, l’essentiel étant encore rurale et/ou tâcheronne. Ainsi, le pouvoir d’achat moyen était très bas, 80% de la population n’en disposait tout simplement pas, vivant en famille, sans réaliser aucune dépense et sans bénéficier d’un quelconque progrès social. Mais la mécanisation de plus en plus rapide et l’émergence de l’industrie imposaient un transfert de cette ruralité vers des modes de vie plus urbains et donc nécessitant des capacités économiques et par conséquent un revenu. La société de consommation a été organisée pour cela en incitant progressivement à la sur-consommation. Acheter de plus en plus de biens de meilleur marché en meilleur marché pour que le plus de monde possible soit occupé à les fabriquer afin de gagner de quoi les acheter pour que le plus de monde possible ait un salaire à les fabriquer. Ce système avait l’inconvénient d’une empreinte environnementale considérable, mais l’avantage d’amener, en quelques décennies, une progression fulgurante de l’espérance de vie et la qualité de vie pour l’ouvrier, lui apportant l’éducation, l’accès à la santé et la Culture. Désormais ce modèle de surconsommation est échu, contraint par la réalité écologique du réchauffement climatique. Il faut produire moins, mais mieux, plus qualitatif, pour préserver la valeur, ce qui implique donc mécaniquement la disparition massive de l’emploi. On le voit rien qu’avec la voiture électrique, bien plus simple à produire, plus écologique, plus durable, mais qui menace à elle seule près de 13 millions d’emplois rien qu’en Europe.
La conclusion évidente s’impose d’elle-même par la nécessité de la transition sociétale
de la fin de l’emploi comme socle de la distribution. Une nouvelle façon d’aborder l’activité économique autrement que systématiquement par le salariat, permettant à tout un chacun d’inclure dans ses rites fonctionnels d’autres fonctions, d’autres possibilités et donc d’étaler ces rites sur l’ensemble de son temps de vie. Au lieu que chaque jour soient répétés les mêmes gestes au même moment pour parvenir à une constance de long terme au quotidien, il devient possible de multiplier les activités avec des paramètres différents et donc d’organiser les rites chaque jour de manière différente pour correspondre à la diversification des activités. D’un point de vue moral, vital même, c’est évidemment éminemment bien plus supportable. Mais d’un point de vue sociétal, c’est non seulement plus démocratique, mais aussi un vecteur d’évolution beaucoup plus puissant. Dix millions de personnes qui donnent une heure par semaine de leur temps pour contribuer au bien commun seront toujours bien plus efficaces que un million de personnes qui donnent dix heures par semaine.
La transition sociétale est donc cruciale pour permettre la mobilisation pour le changement climatique. Elle permet de s’affranchir de la contrainte de l’emploi et donc du rejet de possibilités puissantes mais insuffisamment porteuses d’emploi. Egalement de ne pas se refuser d’abandonner de l’existant sous prétexte de préservation de l’emploi, aussi. Elle permet l’installation d’un nouveau récit communautaire et l’établissement d’une nouvelle intelligence sociale. Et ce sans compromission de l’activité économique, bien au contraire. C’est une nouvelle façon d’être actif, d’une manière plus confortable, plus interactive, plus démocratique et beaucoup plus rentable. Ca fait de la masse de gens libérés de leur condition salariale une nouvelle force vive productrice d’intelligence collective, contribuant dynamiquement à l’économie par des capacités nouvelles issues de l’innovation contenue au sein de la population qui ne peut pas émerger aujourd’hui, faute de temps et de moyens.
Aujourd’hui, la personne qui travaille, assume famille, factures, crédit, ne peut s’extraire de sa constance primordiale rituelle pour prendre le risque de lancer sa propre activité. Et ce d’autant que dans le système économique actuel, celui qui n’a pas l’aire financière adéquate ne pourra pas entreprendre. Celui qui a une bonne idée mais pas les moyens de la soutenir n’obtiendra pas les moyens pour y parvenir. Alors que celui qui a une mauvaise idée mais les moyens de la soutenir la mettra facilement en place. La conséquence est que l’innovation contenue au sein de la population ne peut émerger, compromettant du même coup la diversité économique, source de prospérité pour tous. Une société libérée de cette contrainte de l’emploi ouvre un monde de possibles, où tout un chacun peut décider de sa trajectoire de vie en interaction directe avec les autres, chacun apportant ce qu’il a dans son action communautaire.
La transition écologique, urgente, découle conséquemment directement de la transition sociétale de la fin de l’emploi qu’il faut plutôt percevoir comme la transition vers les possibilités pour tout un chacun. Les uns conservant un emploi où l’humain est indispensable, et donc occupant une fonction où ils sont indispensables, le travail est revalorisé. Les autres adaptant leur mode de vie à l’innovation qu’ils souhaitent porter, la leur ou celle de quelqu’un d’autre, ou la collaboration à des activités diverses, stimulant l’action collective territoriale, débouchant sur les possibilités écologiques aujourd’hui tout simplement inatteignables.
Vous écrivez: « dans le système économique actuel, celui qui n’a pas l’aire financière adéquate ne pourra pas entreprendre. Celui qui a une bonne idée mais pas les moyens de la soutenir n’obtiendra pas les moyens pour y parvenir. Alors que celui qui a une mauvaise idée mais les moyens de la soutenir la mettra facilement en place. La conséquence est que l’innovation contenue au sein de la population ne peut émerger, compromettant du même coup la diversité économique, source de prospérité pour tous. Une société libérée de cette contrainte (financière) ouvre un monde de possibles, où tout un chacun peut décider de sa trajectoire de vie en interaction directe avec les autres, chacun apportant ce qu’il a dans son action communautaire ».
Ce serait la raison pour laquelle l’industrie du pétrole a supplanté la peu chère énergie électrique au tout début du 20e siècle.
Bonjour,
Merci pour votre commentaire. Tout-à-fait, c’est un exemple parmi d’autres, mais il est vrai, même si je parlais à une échelle plus basse, au niveau de l’individu. Mais il est vrai que les acteurs de l’électricité étaient de petites entités qui ne représentaient pas grand-chose face aux géants pétroliers qui avaient les moyens d’imposer de force leurs idées.