La relocalisation industrielle, pas une fausse bonne idée, mais une vraie mauvaise idée

C’est un discours récurrent que la « désindustrialisation », que « nous avons confié le soin à d’autres de nous approvisionner ». L’idée que de relocaliser nous apporterait de la croissance est une vision pour le moins simpliste de la réalité économique de l’industrie. Cette pensée repose sur l’idée que l’emploi est favorable à l’humain et donc que d’en créer permet l’épanouissement, ce qui est un grave biais cognitif qu’il sera crucial d’éliminer. D’autant que l’explosion de la dette souveraine exprime clairement le coût de l’emploi, via les baisses de charges, les cadeaux fiscaux, sous prétexte de prétendue compétitivité, ainsi que les aides à l’installation, ce qui revient littéralement à distribuer de l’argent aux actionnaires, à crédit et qui sera assumé par l’ensemble.  Là-dessus vient s’ajouter l’argument, pseudo-écolo et très populiste, de la réduction des transports, comme si d’importer de la matière première ou des produits semi-finis et d’exporter des produits finis était moins polluant que d’importer des produits finis. Absurde, évidemment, d’autant que le transport maritime et aérien ne représente quasiment rien dans la pollution anthropique mondiale, mais va encore polluer de moins en moins. En réalité, nous n’avons pas suffisamment délocalisé, pour plusieurs raisons, de même que nous n’avons pas suffisamment perdu d’emplois, limitant notre évolution vers le 21e siècle, avec une économie beaucoup plus vive, plus dynamique, plus innovante, plus contributive.

 

Tout d’abord, il y a la notion purement économique. En matière économique, ce qui est rentable, porteur de développement sociétal, c’est la connaissance, pas la production. De fait, c’est l’effort industriel qui est rentable. Si une industrie a pu être délocalisée sur un territoire où les salaires sont plus bas, parce que leur économie est moins avancée, leur société moins développée, c’est qu’elle est trop triviale chez nous et donc ne nécessitant plus d’effort, elle ne nous rapporte plus rien, voire même elle nous coûte, cher. Depuis des décennies nous « investissons », « dilapidons » serait plus juste, dans la lutte pour l’emploi. Pas seulement la France, toutes les économies avancées. Chacun y va de sa propre méthode, adaptations fiscales pour favoriser l’investissement, soutien direct à l’emploi, soutien direct aux entreprises par divers moyens, etc. Mais on observe les mêmes conséquences dans toutes les économies avancées : stagnation technologique, chômage grandissant (même si grâce à des artifices comptables, des méthodes de substitution de l’emploi, etc. on parvient à se convaincre de baisses anecdotiques), durcissement des conditions sociales et donc abaissement de la qualité de vie, abaissement continu de la qualité de l’emploi, paupérisation de la classe moyenne inférieure, précarisation, creusement de l’inégalité, endettement souverain, etc., etc., etc..

Ce n’est pas de la faute à la mondialisation si la France ne profite pas de l’opportunité de s’être débarrassée de son industrie obsolète pour bâtir celle de l’avenir. Emmanuel Macron se plaignant de dilapider « un pognon de dingue » dans les aides sociales « et les gens sont toujours pauvres ». Alors il dilapide « un pognon de dingue » pour préserver l’industrie obsolète restante, via des subventions plus ou moins directes dans l’objectif de soutenir artificiellement une rentabilité des investissements pour les maintenir dans ces activités qui ne génèrent désormais plus de richesse chez nous. Il aura beau « dilapider un pognon de dingue » autant qu’il voudra dans ce modèle, ce n’est pas ce qui va améliorer les choses, raison d’être de cet article qui explique pourquoi. Notre problème, c’est que nous n’avons pas assez délocalisé pour préserver l’industrie indigne de notre développement qui est par définition non rentable, empêchant le déploiement des productions du 21e siècle, plus rentables et concurrençant nos partenaires chez qui elle favorise encore le développement économique. On subventionne, on soutient, dans le but d’avoir de l’emploi, parce que ces nouvelles industries à bien plus forte valeur ajoutée sont moins pourvoyeuses d’emplois. Nous devons délocaliser plus, beaucoup plus, quittes à perdre de l’emploi, ce qui libère une fraction de la population de sa condition, ouvrant la voie vers d’autres possibles, bien plus rentables économiquement et socialement. Il faut cesser de soutenir systémiquement les entreprises et les salaires. Ce qui appauvrit notre population et endette continuellement le pays. Pire, maintenant les économies avancées sont allées jusqu’à baisser à zéro, voir rendre négatifs à un moment donné, leurs taux directeurs pour inciter les entreprises à investir. Les conséquences sont diverses en phagocytant ainsi l’investissement :

    • Nous surendettons nos entreprises qui étant obsolètes ne sont plus rentables et donc à la remontée des taux seront incapables d’assumer et notre outil de production va s’effondrer comme un château de cartes, ruinant nos banques par la même occasion.
    • Nous détruisons notre outil de production plutôt que le délocaliser, de sorte qu’il contribue à l’enrichissement de nos partenaires et donc favorise nos débouchés.
    • Nous privons les émergents des investissements privés qui leur sont dus parce que eux n’ont pas les moyens d’appliquer de tels taux directeurs, il est donc plus intéressant d’investir chez nous. Ce qui les contraints à s’endetter pour substituer l’investissement public au privé, rendant leur développement moins dynamique. De surcroît, comme ce sont les chinois qui prêtent, nous laissons l’ordre mondial changer à notre désavantage, et ce uniquement pour préserver chez nous un modèle économique échu.
    • Ce faisant, en agissant ainsi en compromettant leur développement et donc leur enrichissement et donc nos débouchés, nous imposons une contrainte sur la croissance mondiale et donc, par extension, la nôtre.
    • Les investissements sont concentrés dans des secteurs obsolètes, du 20ème siècle, non rentables, ce qui empêche les secteurs rentables du 21ème siècle d’émerger normalement alors qu’ils seraient sociétalement plus favorables et surtout beaucoup plus écologiques. La transition écologique nécessite des investissements dans des nouvelles technologies.

La France produit donc un mix de tout ceci et l’intégralité de sa dette souveraine n’a été consacré qu’à ça : la lutte pour l’emploi ! Dette qui a augmenté avec l’élection de François Mitterrand dont le financement de l’Etat par la Banque de France ne suffisait pas pour ses grands plans sociaux, quand bien même il avait poussé l’inflation à 11%, puis a explosé en 1986 lorsqu’après les législatives l’opposition est revenue à la majorité donnant naissance à la première cohabitation. L’Assemblée nationale s’étant alors opposée à la Loi de finance, conformément à la Constitution de 1958, mettant fin de facto à l’inflation en interdisant à l’Etat de se financer par la création monétaire, le contraignant alors d’emprunter sur les marchés au-delà des 950/1000e des rentrées fiscales prévues autorisés par l’article 25 de la Loi 73-7. A partir du milieu des années 80 a été introduite « l’Economie des conventions », une sorte de brouillard pseudo-scientifique d’une vision corrompue d’un ultra-keynésianisme consistant grosso modo à gaspiller autant d’argent que possible dans l’économie. Ceci dans le seul et unique but de générer artificiellement de l’activité afin d’avoir de l’emploi. Et voici la France engagée dans la voie du surendettement. 

Et donc au lieu de chercher à évoluer en se réindustrialisant avec les technologies du 21e siècle, peu génératrices d’emplois, mais d’excellente qualité, plus écologiques et à très forte valeur ajoutée, nous avons lutté pour maintenir la société au 20e siècle « à n’importe quel prix », quittes à dépenser « un pognon de dingue ». Et tout y est passé : subventions massives à l’emploi, plus ou moins directes, de l’aide au premier emploi à la formation en passant par le chèque énergie ou la prime d’activité dont le rôle est de permettre de moins rémunérer les salariés pour pouvoir embaucher plus en échange de cadeaux fiscaux. En 1980, dernière année de budget à l’équilibre grâce à l’inflation  avec le financement par la création monétaire (la dernière année de budget à l’équilibre hors inflation étant donc en 1971) qui a rongé le franc français en 15 ans, le faisant passer du statut de monnaie de référence en 1971 à celui de monnaie de singe en 1986. L’impôt sur les sociétés était alors à 50% et on n’a eu de cesse de le réduire depuis, et plus les choses s’aggravaient et plus on faisait de ce qui ne marche pas et donc plus on baissait l’impôt sur les sociétés. L’attrition constante du nombre d’heures travaillées par des humains en proportion de la création de richesse réduisant la charge salariale qui vient s’ajouter à la réduction fiscale, finalement les entreprises redistribuent aujourd’hui 40% moins de leur création de richesse qu’en 1970, et ce uniquement pour avoir de l’emploi, de plus en plus mauvaise qualité, en rétablissant le creusement de l’inégalité avec des riches exponentiellement de plus en plus riches et une dette qui s’envole vers les cieux.

De fait, lorsque nous délocalisons nous éliminons une production non rentable parce qu’elle ne nécessite plus d’effort industriel. Et donc si un pays à moindre salaire a la même ou similaire, elle entre en concurrence directe, ce qui incite chez nous à larguer du lest pour retrouver de la compétitivité pour être concurrentiels. Comprendre plutôt larguer de l’humain comme un aérostier largue du sable pour reprendre de l’altitude. Ainsi nous abaissons continuellement la qualité de vie en tapant sur les chômeurs, en contraignant le revenu médian à progresser moins vite et se rapprocher insensiblement du SMIC, ce qui génère de la paupérisation d’une frange de la classe moyenne et de la précarisation tout en renforçant les droits des salariés qui deviennent littéralement prisonniers de leur contrat de travail. Avec des riches qui s’enrichissent exponentiellement de plus en plus. Tout ceci stoppe net chez nous toute perspective de développement sociétal qui au contraire régresse, faisant progresser l’inégalité.

Alors que la délocalisation dans une économie moins avancée la contraint à un effort industriel. Cette économie doit déployer des filières de formation, développer des infrastructures, ce qui va induire une élévation constante du niveau de vie. Jusqu’au jour où cette industrie sera triviale pour elle et devra alors être délocalisée plus loin pour développer un autre pays. Ainsi, de délocaliser nos industries obsolètes revient à une extension de notre création de valeur en même temps que nos futurs marchés. Parce que produire chez nous, c’est bien beau, mais si nous n’avons personne à qui vendre, ça nous fera une belle jambe. Pour faire des affaires, c’est comme pour faire l’amour ou la guerre : il faut être au moins deux. De relocaliser revient donc à nous appauvrir et nous endetter en même temps que l’on appauvrira nos futurs clients. Et ce d’autant que de priver les émergents de leur développement économique revient également à les empêcher de financer leur transition écologique. Retirer le pain de la bouche des émergents est donc bel et bien une vision perdant-perdant sur tous les tableaux.

Et ça au détriment de l’industrie d’avenir qui régénérerait notre croissance grâce à sa création de richesse bien plus grande en raison de sa plus forte valeur ajoutée reposant sur une complexité inaccessible à nos territoires de délocalisation. De déployer une nouvelle industrie, conformément au principe de destruction créatrice Schumpeter non seulement nous permettrait de maintenir notre avance technologique et sociale, mais de surcroît libérerait une masse de population de sa condition salariale pour une économie plus contributive socle de l’intelligence collective, plus démocratique, plus écologique, plus favorable à l’humain, nous remettant sur la voie de la croissance et du développement sociétal. Une économie plus favorable à l’initiative individuelle et donc à l’innovation, menant à la diversité économique qui, elle, est source de prospérité et de bien-être.

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Auteur/autrice : Thierry Curty

Designer sociétal, inventeur d’un concept intégral économique, écologique et sociétal, co-fondateur de Courant Constructif, auteur, Fervent contemplateur de l’Humanité. De convictions profondes et à l’esprit libre. Passionné d’Économie, de Sociologie, d’Écologie, dans une vision holistique, l’épistémologie est le moteur de ma réflexion, source de ma conviction. Je soutiens la transition sociétale, inéluctable à terme, préalable incontournable des grandes transitions, écologique, énergétique, agrobiologique, qui en sont ses corollaires, et tente de l’expliquer et la dédramatiser, de faire passer le message que loin d’être une fin elle est un nouveau commencement, une solution aux problèmes que nous rencontrons aujourd’hui. Inéluctable, mais aussi nécessaire et souhaitable, confortable pour tous.

3 réflexions sur « La relocalisation industrielle, pas une fausse bonne idée, mais une vraie mauvaise idée »

    1. Bonjour,

      Non, l’innovation est sans aucun lien de rapport de cause à effet avec la production. L’innovation peut être issue d’un individu ou d’un groupe et réalisée par un autre. Il y a au contraire bien plus d’innovation si on ne la fait pas reposer sur l’industrie. L’essentiel de l’innovation se trouve aujourd’hui inexploité, au sein de la population elle-même, et elle restera inexploitée tant que l’individu aura pour fonction de gâcher inutilement sa vie à bosser au lieu de se rendre utile en prenant la place d’un robot plus efficient que lui. Je dirais qu’aujourd’hui au moins 80% de l’innovation est inaccessible.

      Et vous avez raison, pas d’innovation sans échec, et donc nous avons au moins 80% des échecs potentiels qui sont non tentés, contraints par le modèle économique échu du 20e siècle.

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