Cette semaine, nous avons vu passer sur les réseaux des articles relatifs à l’opération de communication de quelques étudiants d’AgroParisTech qui, à peine diplômés, renoncent à leur carrière d’ingénieur agronome et désertent l’industrie pour se retourner in fine, vers les zad, le woofing, l’activisme, les boulots de saisonnier, boulanger, maraicher ou apiculteur. Leur discours anti-solutionniste rejette le développement durable, la croissance verte et la transition écologique. Extrait :
« Nous ne voyons pas les ravages écologiques et sociaux comme des “enjeux” ou des “défis” auxquels nous devrions trouver des “solutions” en tant qu’ingénieurs. »
« Nous ne voyons pas les sciences et techniques comme neutres et apolitiques. Nous pensons que l’innovation technologique ou les start-up ne sauveront rien d’autre que le capitalisme. Nous ne croyons ni au développement durable, ni à la croissance verte. Ni à la “transition écologique”, une expression qui sous-entend que la société pourra devenir soutenable sans qu’on se débarrasse de l’ordre social dominant.»
« Vous pouvez bifurquer maintenant. Commencer une formation de paysan-boulanger, Partir pour quelques mois de wwoofing, Participer à un chantier dans une ZAD ou ailleurs, Rejoindre un week-end de lutte avec les Soulèvements de la Terre, S’investir dans un atelier de vélo participatif? Ça peut commencer comme ça. »
On en vient finalement à cette absurdité que ceux-là même qui incarnent dans l’espace public la conscience du problème écologique sont les mêmes qui s’opposent le plus farouchement aux solutions écologiques. Nous qualifions d’écologistes des gens qui sont en réalité les ennemis de l’écologie réelle et considérons les travailleurs de la transition réelle comme des charlatans capitalistes, des greenwashers et des techno-béats. En tant que constructifs dédiés à la valorisation des acteurs de la transition, nous ne pouvions laisser un tel discours se propager et servir d’exemple aux futurs jeunes. Nous nous devions de le dire : la désertion est une impasse.
Réaction de Satyavir : L’ignorance des solutions pousse la jeunesse engagée dans le vide de la désertion
Ce n’est pas la première fois que nous entendons parler de ce genre d’éco-désertion de la part d’ingénieurs et de jeunes diplômés de l’élite française, malheureusement tombés sous l’influence du populisme vert et de sa nébuleuse d’idéologues collapso-décroissants anti-solutions. Déjà dans les années 2008-2009, j’avais pu constater sur le terrain que le milieu de la décroissance était truffé d’ingénieurs, du fait, essentiellement, de la forte influence des conférences de Jean-Marc Jancovici dans ces milieux-là. Par manque de prospective, ces derniers s’en tenaient à de savants calculs sur la fin du pétrole et le pic everything, sans prendre en compte la créativité humaine, l’exponentielle de la connaissance, le principe de néguentropie ou l’historicité des formes d’énergie et de matériaux.
Tous ces petits calculs sur la fin des ressources sont faux, comme nous le démontrons chaque jour au Courant Constructif grâce à l’immense travail de mon ami Thierry Curty qui depuis plus de 12 ans maintenant documente les solutions émergentes dans tous les domaines de la transition sur lmc.today. La vérité, c’est qu’une partie de la jeunesse est en train de se faire endoctriner par une idéologie régressive, qui renvoie à une approche romantique des fermes traditionnelles et des tribus de chasseurs-cueilleurs. Les dégâts sur l’esprit de ces jeunes sont presque irréparables et nous ne pouvons que nous attrister de voir toute cette intelligence gâchée pour la transition.
J’avais déjà alerté contre cette dérive dans mon Appel à la jeunesse. Mais depuis quelques temps, j’en suis venu à la conclusion que la meilleure façon de convaincre ces jeunes est de les prendre au mot en leur donnant le défi d’aller vivre selon leur idéal. A ces jeunes en crise de sens, je dis: allez faire l’expérience de vivre dans une ferme en permaculture sans énergie renouvelable , sans ordinateurs, sans voiture, sans shopping, sans possibilité de recours à la société moderne si l’on a un pépin…, sans réseaux sociaux pour financer votre projet de potager cool. Avec la traction animale et les low-tech pour seuls alliés.
Il est facile de défendre une telle vie dans le confort de son appartement planqué derrière son smartphone… Il est facile de critiquer le capitalisme tout en profitant de ses avantages au quotidien… Il est facile de se croire affranchi du système quand on a quelques tomates à son potager et qu’on milite contre une multinationale. Mais ne pas agir en cohérence avec ses convictions diffère la prise de conscience des limites de notre mode de pensée. C’est pourquoi je dis: allez-y, mais allez-y à fond, allez au bout de votre logique. Les jeunes islamistes, eux, font bien le saut en allant expérimenter les joies de l’état islamique. A votre tour, montrez par l’exemple le bonheur de vivre selon vos valeurs décroissantes. Comme eux, vous en reviendrez vite, conscients d’avoir été endoctrinés par une idéologie qui prospère sur la peur et le désespoir de la crise systémique.
Quand vous en reviendrez, dans trois ou quatre ans tout au plus, vous serez fin prêt pour accéder à la pensée constructive. Vous cesserez de critiquer les solutions durables au nom de l’écologie et comprendrez qu’une transition sans énergie verte est un génocide mondial. Vous n’opposerez plus l’évolution intérieure de la conscience et l’évolution extérieure de l’infrastructure technologique de nos sociétés. Vous saurez trouver l’équilibre subtil entre le méditant et le militant, orienter votre colère dans un sens constructif, transformer votre conscience du problème en une expertise des solutions, canaliser votre énergie dans le travail laborieux de la transition réelle. Vous comprendrez que faire sa part ne consiste pas à changer son mode de vie individuel en se retirant dans quelque éco-communauté marginale mais à apporter sa contribution au changement des structures collectives en mettant son intelligence au service de la transition systémique. Vous n’opposerez sans doute plus durabilité et rentabilité, car vous aurez compris que l’argent peut être un moteur bien plus rapide que la conscience pour propulser l’évolution. Vous aurez un peu plus d’humilité dans votre critique du capitalisme car vous mesurerez tout le progrès qu’il a pu apporter à la civilisation malgré les ravages causés par son succès. Plutôt que d’adopter des modes de pensée binaires qui opposent nature et culture, écologie et économie, technologie et spiritualité, agro-écologie et intelligence artificielle, société de biens et société de lien, en somme modernité et tradition, vous apprendrez les subtilités de la dépolarisation, l’art des complémentarités et des équilibres complexes. À terme, vous pourrez contribuer à la grande évolution en cours plutôt que d’aller nourrir la tentation régressive.
Alors, nous serons là pour vous former, pour vous donner les heures de lectures dont votre cerveau a besoin pour intégrer la complexité. Nous vous montrerons que la joie et le lien humain requièrent l’automatisation et non pas le retour aux fermes d’antan ou au travail manuel… Que le combat de notre génération contre l’aliénation du travail passe par l’Intelligence Artificielle, non par un retour au champ, et qu’à ce titre les ingénieurs sont l’avant-garde de l’émancipation humaine.
Soit dit en passant, pendant que vous gâchez votre temps et votre intelligence dans le reniement de votre formation, les jeunes ingénieurs d’Inde, de Chine et de Californie, eux, construisent le monde de demain et s’approprient le futur. De sorte qu’à suivre votre exemple, une Europe devenue décroissante se retrouverait bientôt dominée et vassalisée par les puissances montantes. Et qu’en suivant les voix de cet éco-anarchisme zadiste nous finirions à coup sûr soumis à de nouveaux maîtres à la volonté de puissance toujours vive. Car le monde ne s’arrête pas d’évoluer sous prétexte qu’un pays a décidé de régresser. Un tel pays sort de l’histoire et finit dominé, c’est tout.
Le commentaire de Thierry Curty : Le changement a besoin de compétences !
« C’est un gâchis inouï d’intelligence, ils sont perdus pour la transition. Des jeunes bien sympas, mais j’espère vraiment qu’il n’y en aura pas trop qui suivront cette voie, parce que si, la « croissance verte » (mais quel terme absurde) ça existe. Non, ce qu’on entend dans ces discours engagés n’a rien d’écologique, absolument rien, ça revient à ne rien faire contre le réchauffement. Ça revient à soutenir un monde à la Mad Max à terme.
Toute cette compétence gâchée… on peut comprendre que vous refusiez de la mettre à disposition de l’agroalimentaire, d’autant que ce que j’ai entendu est vrai sur la vie qui vous attendrait en participant au système. Mais en quittant le système pour ce que vous allez soutenir, vous ne contribuez pas à le changer, mais à le perpétuer et le changement vous perd, tout simplement.
La vérité est que le changement a besoin de compétences. En allant rejoindre les éco-communautés, qui certes offrent une certaine qualité de vie, c’est la transition écologique qui perd des talents. La transition écologique c’est de l’intelligence, de la complexité, qui nécessite de grandes compétences. Ces jeunes, en acceptant l’idée de ne faire preuve d’aucune ambition autre que de ne pas avoir d’ambition, privent la société de leur contribution à un avenir possible.
C’est en réalité profondément égocentrique : « ce système ne correspond pas à MES valeurs ». « JE VEUX autre chose ». « JE ne mets pas MES compétences au service de »… Il n’y a aucune « rébellion » dans leur action, juste de la lâcheté égoïste. Ils auront une belle qualité de vie, mais en-dehors du système, qu’ils contribueront ainsi à permettre de se perpétuer.
A noter que la ZAD NDDL a réussi à sauver les 2000 hectares de lande, mais pour ça, on va doubler la voie SNCF jusqu’à Paris et sacrifier 8000 hectares de nature. Sans compter l’agrandissement de Nantes-Atlantique et la voie d’accès qu’on va créer à travers la nature pour relier les territoires environnants, bien évidemment. »
ADDENDUM :
1) Quelques jours après la publication de notre article, de nombreuses voix nous donnent raison. La vague populiste est passée, maintenant l’intelligence reprend ses droits. Nous vous signalons particulièrement ces trois articles :
⇒ Voir : Écologie : après les jeunes diplômés d’AgroParisTech, les élèves normaliens se révoltent à leur tour
Voir aussi :
→ Jeunesse lève-toi… pour les solutions!