« Je ne pleure pas la fin de notre monde, je l’attends avec une impatience grandissante même si je ne suis pas encore tout à fait prête. A 48 ans, je sais que je n’ai jamais aimé notre monde, du plus loin que je me rappelle ce n’était pas pour moi. Je me suis même dit bien des fois que je n’étais pas née dans la bonne époque. Aujourd’hui j’ai rencontré d’autres « âmes perdues » et nous nous préparons ensemble tout en étant séparés par de grandes distances parfois, pour un futur difficile, mais plus propre. » Témoignage de Caroline (1)
Un article de MrMondialisation s’étonnait récemment d’observer sur les réseaux sociaux de plus en plus de commentaires exprimant un véritable désir d’effondrement. « Se réjouir de « l’extinction de l’espèce humaine » est devenu un commentaire récurrent dans les bouches et sur les réseaux sociaux. » pouvait-on lire en introduction (2). Étrangement, les médias qui incarnaient le journalisme positif sur Internet (Mr Mondialisation, Positivr, WeDemain, Kaizen) se sont fait le relais de la collapsologie, en contradiction totale avec leur ligne éditoriale et dans l’ignorance la plus complète du Courant Constructif qui continue d’incarner cette ligne. Les voilà à présent qui s’étonnent de la montée de la haine de notre civilisation et de l’humanité. C’est là un phénomène que, pour notre part, nous avons maintes fois constaté, jusque dans les commentaires de notre propre groupe qui n’est malheureusement pas à l’abri de l’effondrisme ambiant. Nous avions pointé à plusieurs reprise ce désir d’effondrement lové sous les apparences de scientificité du discours effondriste. La collapsologie apparaît à bien des égards comme la justification rationnelle d’un désir d’effondrement qui lui pré-existe.
I – Économie libidinale de l’effondrisme
Ce désir d’effondrement s’est progressivement développé dans les milieux écologistes où la destruction de la planète a fini par nourrir une véritable détestation de notre civilisation responsable de cette destruction. On le sait, l’écologie vient renouveler la lutte anti-système qui battait de l’aile après l’échec du communisme. Elle réactive les logiques de radicalisation oppositionnelle en les faisant passer du rouge au vert. Rappelons que le fondateur de la collapsologie, Pablo Servigne, est lui-même profondément anarchiste. Connaissant le goût prononcé de certains anarchistes pour la destruction du système capitaliste, on peut légitimement se demander s’il n’y a pas, chez le fondateur de la collapsologie lui-même, derrière l’argumentation rationnelle, un certain désir de voir le monde moderne s’effondrer. Nous n’exagérons rien. En réalité Pablo Servigne a plusieurs fois manifesté ce désir. Dans son livre de collapsosophie, il partage ainsi sa « joie de voir (enfin !) l’effondrement du monde thermo-industriel et de bien d’autres choses toxiques, de pouvoir inventer de nouveaux mondes, de retourner à une existence simple, de retrouver une mémoire (contre l’amnésie) et des sens (contre l’anesthésie), de regagner en autonomie et puissance, de cultiver la beauté et l’authenticité, et de tisser des liens réels avec le sauvage retrouvé. Il n’y a rien d’incompatible, nous dit-il, à vivre une apocalypse et un happy collapse. » (3)
Ainsi, la détestation de notre monde qui, sous l’ère communiste, prenait la forme d’un désir d’effondrement du système capitaliste, a pris, sous l’ère écologiste, la forme d’un désir d’effondrement de la civilisation thermo-industrielle. Comprenant cela, on comprend mieux pourquoi les effondristes s’acharnent à décrédibiliser toute solution qu’on leur présente. Ce n’est pas qu’ils s’attachent à mettre en garde contre le caractère erroné de certaines solutions, c’est qu’ils souhaitent en réalité qu’il n’y en ait AUCUNE. Nous rejoignons en cela l’analyse du sociologue Gérald Bronner d’après lequel « Les collapsologues ne veulent pas voir les innovations technologiques qui pourraient changer la donne. » (4) Le déni des solutions, qui permet de maintenir les bases théoriques de leur idéologie, trouve son fondement dans un parti pris affectif en faveur de l’effondrement. Les collapsologues s’acharnent à invalider toute solution, non seulement pour se donner raison et maintenir leur système de croyance, mais aussi par espoir d’un effondrement qui justifierait et libèrerait la possibilité d’utopies communautaires post-apocalyptiques. Leur comportement, qui semblait contradictoire jusque là (pourquoi un lanceur d’alerte s’acharnerait-il à rejeter toute solution qu’on lui présente?), ce comportement s’éclaire si l’on tient compte du paramètre libidinal sous-jacent au niveau rationnel de leur argumentation. Derrière le diagnostic prétendument scientifique de l’effondrement se cache un double désir: désir d’effondrement de notre monde et désir de reconstruction utopique d’un monde nouveau. Qu’on se le dise, les collapsologues ne souhaitent pas véritablement éviter l’effondrement, ils ne souhaitent même pas simplement l’accepter comme une fatalité, en réalité, beaucoup d’entre eux l’espèrent.
Ils l’espèrent, et ils le disent. Le 7 décembre 2019, le site Sciencepost sortait un article intitulé: « Six français sur dix craignent un effondrement de la civilisation » (5). Le titre de cet article n’a pas manqué d’attirer l’attention des effondristes.
Voici quelques unes des réactions qu’on pouvait lire en commentaire de l’article sur Facebook (6):
Ce genre de pensées est en réalité beaucoup plus répandue qu’on ne le croit. On observe sur le terrain différents degrés de désir d’effondrement qui cohabitent, du laisser-faire passif à l’excitation pro-active. Chez la plupart des gens, le désir plus ou moins conscient et assumé de voir cette société s’effondrer se mêle avec des désirs contradictoires. Les désirs opposés s’annulant, il en résulte une sorte de passivité face à la catastrophe annoncée. On ne fait rien pour que le système s’effondre mais l’on ne fait rien non plus pour l’en empêcher. On ne lutte pas, on ne s’engage pas, on ne dépense pas son temps et son énergie de manière combattive et constructive… Mais on laisse le monde glisser sur sa pente suicidaire sans réagir, ce qui est une manière d’adhérer passivement au destin annoncé.
Cette attitude est en elle même le symptôme d’une civilisation qui est en train de perdre l’envie de vivre et d’évoluer. Ce genre de réaction ne devrait pas être pris à la légère, mais bien comme révélateur d’une pathologie collective beaucoup plus profonde qu’on ne croit. Le besoin de sens étant un besoin vital pour les êtres humains, lorsqu’une société ne fait plus sens, ses membres perdent le courage de la défendre, la combattivité face à l’épreuve et la rage de vivre. La crise spirituelle de la modernité a grandement affaibli la capacité de résilience de nos sociétés en affectant le désir même qu’il y ait résilience. Nous nous retrouvons dans une situation où, potentiellement, les solutions, bien que présentes, ne seront pas mises en oeuvre par simple manque de volonté collective. Ce défaut de volonté est le symptôme d’un nihilisme pathologique qui, au bout de sa logique, conduit à un suicide passif collectif.
À un niveau plus avancé on trouve des personnes qui ont accumulé suffisamment de ressentiment envers cette société pour désirer la voir s’effondrer. On peut même observer une certaine excitation chez un certain nombre de survivalistes qui se préparent à l’effondrement comme à une grande aventure. Les séances de préparation les sortent d’un quotidien plat et dévalorisant. L’adrénaline aidant, elles leur donnent l’occasion de se sentir beaucoup plus en vie que dans leur vie normale.
Cette aventure sera aussi pour eux l’occasion de prendre leur revanche sur ce monde: ils riront à leur tour de ceux qui les trouvaient ridicules, et leur préparation anticipatrice les placera en position de force. Là où les anciens métiers ne vaudront plus rien, leurs compétences acquises les mettront en situation de dominer.
Bernard rêve d’une pandémie et se prépare à une chose : SURVIVRE
Pour d’autres encore, c’est la consommation de films, de jeux et de séries post-apocalyptiques qui vient alimenter le désir du grand frisson régressif. En Californie, le festival Wasteland permet aux plus impatients de vivre de manière anticipée quelques jours dans un univers post-apocalyptique fantasmé.
Wasteland Weekend 2018
II – Le désir d’extinction, version la plus extrême du désir d’effondrement
Ce désir d’effondrement peut dans certains cas, aller jusqu’au vœu de voir l’humanité s’effondrer démographiquement, voir disparaître complètement de la surface de la Terre. Pour de plus en plus de gens en effet, ce n’est plus seulement un système historique qui est la cause du mal mais c’est l’espèce humaine en tant que telle. C’est le syndrome Paccalet, du nom de l’écologiste Yves Paccalet, connu pour son livre L’humanité disparaîtra, bon débarras, paru en 2007. Dans ce livre précurseur de la collapsologie, on peut lire notamment le passage suivant:
« Nous ne sommes ni le fleuron, ni l’orgueil, ni l’âme pensante de la planète : nous en incarnons la tumeur maligne. L’homme est le cancer de la Terre. » (7)
Cette idée selon laquelle l’humanité serait le cancer de cette planète est assez répandue dans les milieux écologistes. On en vient ainsi à considérer l’extinction de l’homme comme une forme de guérison positive pour la planète. Le livre de Paccalet cherche à donner une image de l’humanité si négative qu’on en vient à trouver sa disparition prochaine finalement souhaitable ou, à minima, pas si grave que ça. Il est vrai qu’on ne se souhaite pas du bien lorsque l’on se déteste…
Le logiciel effondriste induit des types de réactions inversées par rapport au sens commun: le problème devient une solution et la solution un problème. Dès lors que l’effondrement devient désirable pour la planète, la biodiversité et les hommes, toute crise est vue comme une bonne nouvelle en tant qu’elle est susceptible de déclencher et de précipiter l’effondrement tant attendu.
Ainsi, pendant la crise du Coronavirus, on a pu voir certains effondristes se réjouir et espérer que la pandémie agisse comme le déclencheur de l’effondrement systémique. À titre d’exemple: le 29 février 2020, Pablo Servigne partageait sur sa page Facebook un article relatif aux conséquences du coronavirus sur l’économie mondiale (8). « Ça sent le roussi, là… » commentait-il. Voici quelques unes des réactions que l’on pouvait lire en commentaire de son post:
Une personne toutefois s’offusquait du manque d’empathie saisissant de ces réactions envers toutes les personnes qui allaient souffrir et mourir :
La réponse de l’effondriste visé ici par la critique est tout à fait révélatrice:
L’inversion est flagrante: le virus n’apparaît plus comme un problème mais comme une solution. Notre monde est vu comme un cauchemar et à cet égard toute crise susceptible de déclencher sa fin apparaît comme une bonne nouvelle, quelles que soient les souffrances engendrées. Là où le sens commun invite à porter notre attention sur les solutions issues de la science, de la société et de la technologie (vaccins, traitements, solidarités, techniques de dépistages, technologies d’assainissement…), ici c’est le problème qui apparaît comme la solution et les solutions potentielles qui apparaissent comme des problèmes dans la mesure où elles sont susceptibles de freiner la fin de ce monde.
Le constat étant fait, se pose maintenant la question de savoir pourquoi un tel désir d’effondrement se développe dans la population? Les raisons sont évidemment multi-factorielles. Nous n’en mentionnerons ici que dix.
1/ Le désinvestissement de la modernité en crise
La crise multidimensionnelle du monde moderne induit un désinvestissement affectif du référentiel moderne et une ré-identification à des modèles traditionnels. Le fantasme d’un monde traditionnel harmonieux suscite l’espoir d’un retour à l’équilibre d’avant. Quelques ateliers de permaculture, quelques expériences de potagers collectifs, quelques séjours dans des éco-lieux alternatifs et des fermes autonomes induisent l’idée qu’un autre monde est possible et souhaitable. L’effondrement du monde moderne permettrait de généraliser ce genre d’expériences communautaires. On fantasme sur des modes de vie néo-ruraux, l’harmonie d’un monde low-tech, paisible et communautaire. Le désinvestissement libidinal de la modernité fait qu’elle n’est plus ni portée, ni défendue, ni prolongée par ses enfants.
2/ La crise du sens
La modernité est une déconstruction du régime de sens traditionnel. Beaucoup ne se sont pas remis de la destruction des repères traditionnels et demeurent dans une forme de nostalgie idéalisante. Ni le consumérisme, ni les grandes festivités mondiales n’ont jamais étanché la soif de sens de l’homme moderne qui ne cesse de réactiver des formes de religions traditionnelles pour retrouver le sens perdu (néo-bouddhisme, néo-hindouisme, néo-chamanisme, néo-druidisme…). Le désenchantement du monde moderne induit une crise du sens profonde chez les jeunes générations. Ces dernières grandissent dans un système en crise terminale qui ne leur apporte plus de sens, seulement des crises. N’ayant jamais connu d’autre monde que le monde moderne, elles tendent à considérer les avantages du dit système comme des acquis, et seront d’autant plus facilement prêtes à abandonner la modernité occidentale qu’elles ne penseront pas devoir les défendre. L’espoir d’un réenchantement conduit à désinvestir la société moderne pour imaginer des utopies concrètes. L’effondrement du vieux système apparaît dès lors comme un espoir de réenchantement dans un nouveau monde réharmonisé avec la nature.
3/ La crise sociale
La religion étant, dans les sociétés traditionnelles, le socle du lien social, la mort de Dieu et la déchristianisation des sociétés occidentales n’ont pas seulement induit une crise du sens, mais également une crise de la reliance. À la perte du religare vertical s’est ajoutée la perte du religare horizontal. La modernité n’a réussi à recréer du lien qu’autour des objets de consommation. Les ersatz de religion que sont les grandes célébrations sportives ou l’adoration des célébrités ne suffit pas à recréer le sens perdu dans un monde structurellement aliéné et aliénant.
L’individualisme moderne produit une solitude massive, qui s’est encore accentuée avec l’apparition des écrans. Sur le vide de cette sociabilité fleurissent les utopies communautaires visant à retrouver une vie riche en humanité, en solidarité et en partage. « Moins de biens, plus de liens« , scandent les décroissants dans leurs manifestations. Les collapsologues héritent également de ce désir de commun et de communion perdus qui traversent la mouvance écologiste. Mais ils projettent sur l’après-effondrement la possibilité d’un tel retour. L’effondrement étant sensé ressusciter l’entraide (9), ils développent un imaginaire de petites communautés traditionnelles résilientes fortement intégratives, qui a de quoi séduire tous les déçus de la modernité en mal d’appartenance et de communion humaine.
4/ La saturation de la complexité
L’évolution des sociétés humaines est parvenue à un tel degré de complexité qu’un désir de retour à la simplicité a vu le jour. Cette complexité semble à présent fragile et devient synonyme d’insécurité, là où la simplicité des choses naturelles apparaît comme beaucoup plus stable et résiliente en cas de problème. Les problèmes suscités à ce stade de l’évolution humaine semblent tellement complexes qu’ils ne sont même plus compréhensibles par la plupart des individus. Les gens vivent dans un monde dont ils ignorent comment il fonctionne. Cette perte de maîtrise induit une anxiété accrue dès lors que cette complexité devient elle-même génératrice de problèmes complexes dont la résolution est hors de leur maîtrise. À un certain niveau le désir d’annuler la complexité pour revenir à des valeurs plus simples et retrouver la maîtrise de sa vie apparait comme la solution. Dès lors, ne faut-il pas laisser s’effondrer cette complexité problématique devenue immaîtrisable? Seul un effondrement semble pouvoir mettre fin à la fuite en avant d’un système complexe qui ne peut en lui-même que tendre vers sa propre continuation et son auto-accroissement. C’est cette logique qui pousse de nombreux effondristes à désirer l’effondrement comme un retour à un niveau d’organisation stable et maîtrisable à leur échelle.
5/ Le maintien du système de croyance effondriste
À bien des égards, la collapsologie fonctionne comme une idéologie qui, comme toute idéologie, tend à se conserver dans le temps en écartant tout élément susceptible de perturber ses fondements théoriques. Le collapsologue se trouve pris dans un jeu malsain où, pour continuer d’avoir raison, il doit sans cesse détruire la crédibilité de toute nouvelle solution susceptible d’invalider le scénario de l’effondrement. L’existence de solutions représentant un risque vital pour son idéologie, il prendra systématiquement parti contre les solutions émergentes, allant jusqu’à rejeter l’emploi du mot « solution » en collapsologie (10). Dans ce contexte, le collapsologue préfèrera avoir la satisfaction de dire « On vous l’avait bien dit! », plutôt que de lutter activement contre un effondrement dont l’absence invaliderait son idéologie et le relèguerait au rang des illuminés annonciateurs de la fin du monde qui peuplent l’histoire.
6/ La préférence des animaux à l’humanité
La destruction de la planète par l’homme finit par faire baisser l’estime qu’il se porte à lui-même, tandis que l’amour porté aux animaux grandit avec l’augmentation de l’empathie, l’influence du mouvement vegan et les réseaux sociaux. Déclin de l’amour de l’humanité d’une part, augmentation de l’amour des animaux d’autre part. Là où les deux courbes finissent par se croiser, on en vient à considérer l’effondrement de l’humanité comme une bonne nouvelle pour les animaux, la biodiversité et la planète en général. Ainsi le célèbre écologiste James Lovelock pouvait-il déclarer dans une interview:
« Je considère avec beaucoup de sérénité un genre d’évènement, pas trop rapide, qui réduirait notre population à environ un milliard ; je pense que la Terre serait plus heureuse. » (11)
La priorité affective accordée à la terre et au vivant sur l’humanité par le père de l’hypothèse Gaïa le conduit manifestement à une indifférence vis-à-vis de l’effondrement démographique de sa propre espèce. Par quel trouble de l’attachement, de l’empathie ou de l’amour de soi a-t-on pu en arriver là?
Cet état d’esprit s’appuie en réalité sur des décennies de déconstruction et de relativisme qui ont fini par nous faire nier la supériorité évolutive de l’homme sur les autres espèces terrestres. L’anti-spécisme condamne lourdement la tendance que nous avons à accorder plus de valeurs aux êtres humains qu’aux animaux comme une forme de racisme anthropocentrique. Cet égalitarisme est souvent le premier pas vers une véritable inversion des valeurs. Là où la détestation de l’humanité s’accroît, les animaux finissent par paraître plus sages, plus intelligents, plus aimant que l’homme que l’on tend à voir comme une erreur de la nature, un cancer de cette planète. Dans ce contexte, l’effondrement vient rétablir l’ordre naturel, remettant les hommes à leur place et soulageant le monde animal. Il est souhaitable pour l’harmonie du tout et la sauvegarde de la vie sur Terre.
7/ L’anticapitalisme vert
Les prédictions marxistes de la chute du capitalisme se sont avérées décevantes pour les anti-capitalistes. Mais les prédictions du Club de Rome dans les années 1970 ont suscité à nouveau l’espoir de voir le système économique de la modernité s’effondrer. Le logiciel malthusien, crédibilisé par le rapport Meadows, a finalement permis un renouvellement de l’anti-capitalisme, qui, fort de son nouveau visage collapso-décroissant, gagne à présent la jeunesse. Le capitalisme n’est plus sensé s’effondrer de ses contradictions internes mais du fait des limites géo-physiques du système Terre. L’attente de la chute du système capitaliste se reporte sur le désir d’un effondrement systémique. L’utopisme post-apocalyptique succède au socialisme utopique et l’attente du grand déclencheur de l’effet domino succède à l’espoir du Grand Soir.
8/ Le malheur de l’homme moderne
Augmentation des inégalités, hausse du chômage et aliénation des travailleurs finissent par affecter l’adhésion des masses au système global de la modernité. Au ressentiment des perdants de la mondialisation s’ajoute le malheur du salarié moderne moyen, aliéné dans son travail, triste dans sa vie, pauvre en sens, éloigné de la nature, confronté à la violence et à la concurrence, bombardé quotidiennement d’informations négatives… Tout cela finit par créer un climat général et affectif qui peut, dans certain cas, susciter le désir de voir ce « cauchemar » prendre fin. L’effondrement peut alors être envisagé comme une délivrance et un espoir.
Le leader survivaliste VolWest parle de la société, du système, du salariat…
9/ La culpabilité masochiste
La destruction de la nature par l’homme suscite une culpabilité qui nécessairement appelle sa punition. L’effondrement peut apparaître comme une grande purification salvatrice vis-à-vis d’un péché envers la nature qui a été trop loin. Les crises suscitées par la destruction de l’environnement sont alors vécues comme autant de punition, de rappel à l’ordre d’une Mère nature en colère. Certains survivalistes trouvent que la dégénérescence de ce monde a été trop loin. Ils souhaitent que la nature intervienne pour que les décadents soient emportés et que les « vraies valeurs » soient rétablies.
10/ Le fantasme d’un renouveau
Le désir d’effondrement prend racine dans la détestation de ce monde, mais il se nourrit également de l’utopisme post-apocalyptique qui permet d’associer l’effondrement à un horizon fantasmatique positif. L’espoir d’un renouveau qui serait rendu possible après l’effondrement du monde actuel cristallise les aspirations et fantasmes des anti-capitalistes verts. On fantasme sur des communautés d’entraide réharmonisées avec la nature, à l’instar de l’auteur du site collabsologie.fr qui, dans un article prônant l’effondrement joyeux, exprime en ces termes sa vision du monde post-effondrement :
« Je vois une vie où je passerai mes journées à croiser des gens et à discuter, à donner des coups de mains et à me faire aider, à travailler ensemble pour un bien commun. Mes soirées seraient faites de partages autour d’un feu, avec des amis à refaire le monde. Les gens seraient aimants, disponibles, et la société humaine retrouverait ses lettres de noblesse. Alors qu’aujourd’hui on se toise, on se confronte, on se méfie, on s’évite. »(12)
Plus ces utopies paraissent désirables et plus l’effondrement devient souhaitable aux yeux de ceux qui voudraient les vivre. En maintenant cet horizon de projections fantasmatiques idéalisées, l’effondrisme se rend désirable, ce qui ne serait pas le cas s’il se contentait de décrire les terribles réalités qui attendent les hommes si un tel effondrement venait à se produire (violences, guerres, viols, famines, épidémies, maladies, égoïsme, concurrence pour les ressources, gangs, dépressions…).
Conclusion : Défendre l’amour de l’humanité
La montée du désir d’effondrement révèle un désinvestissement affectif du système moderne en cours dans la population. Pour beaucoup, la modernité ne fait plus sens, ni sur le plan spirituel, ni sur le plan matériel. Les nombreux services et objets qu’elle continue de fournir ne suffisent plus à compenser le malheur de l’aliénation moderne, ni le vide de sens de l’individualisme contemporain. On assiste à la réémergence d’un désir de commun, de communion, de communauté, de nature, de spirituel. Tous les besoins humains profonds que la modernité avait tendance à refouler en centrant la vie sur le travail salarié refont surface. L’effondrement apparaît à beaucoup comme la solution pour en finir une fois pour toute avec le quotidien de l’aliénation. On investit l’effondrement par espoir d’un renouveau, sans comprendre que le renouveau qu’on espère serait littéralement impossible dans le contexte d’un effondrement réel, qui ne pourrait que conduire à la violence, à la misère, à la maladie, à l’impuissance et au tribalisme. La désirabilité de l’effondrement repose entièrement sur une mauvaise estimation de la réalité qu’il engendrerait s’il advenait. La sous-estimation de la gravité de l’effondrement et de ses conséquences d’une part et l’idéalisation du monde d’après d’autre part sont les deux pieds sur lesquels s’avance l’illusion régressive. Une illusion tenace, qu’il va s’agir de déconstruire si l’on veut ouvrir la voie à une évolution constructive.
Nous sommes tous d’accord pour dire qu’il est temps de changer de paradigme. Mais nous nous opposons sur la nature du nouveau paradigme et sur le chemin à prendre pour y parvenir. Certains pensent qu’il suffit de revenir à des modèles anciens, d’autres pensent qu’il s’agit d’évoluer vers un nouveau modèle parfaitement inédit. Certains pensent que l’effondrement de l’ancien monde est une phase nécessaire pour que puisse émerger un monde nouveau, d’autres estiment, c’est notre cas, qu’un tel effondrement ne déboucherait sur rien d’autre que sur une grande régression collective, et que si nous voulons continuer d’évoluer, il nous faut à tout prix empêcher cet effondrement d’arriver ou du moins, le limiter autant que possible.
Mais au delà des arguments, au delà des théories, au delà des querelles de chiffres, il y a ce fond affectif qui nous porte amoureusement vers le passé ou vers le futur. C’est à ce niveau libidinal que se joue la véritable bataille. D’où l’importance de développer un imaginaire éco-futuriste pour faire barrage à l’irresponsabilité d’une écologie passéiste nourrie de fantasmes et d’idéalisations.
En tant que Courant Constructif, nous sommes résolument tournés vers l’évolution des consciences et de la société. Notre mission consiste à identifier, à valoriser et à rassembler les forces d’évolution dans le monde. Depuis le début, nous combattons de toutes nos forces la Grande Régression que nous voyons se préparer sur les réseaux, portée par des armées de populistes, de réactionnaires, d’utopistes irresponsables, d’éco-spirituels délirants et de collapso-décroissants idéologiquement conditionnés. Mais nous savons aussi que pour emporter cette bataille de l’évolution, nous ne devons pas seulement lutter contre les théories de nos adversaires, nous devons être capables de proposer une vision d’un avenir désirable et crédible. Nous devons autant attaquer les dangereux fantasmes utopiques de nos adversaires que développer une force de proposition qui l’emportera par son sérieux et sa désirabilité. Tel est notre défi: réussir à concurrencer les forces régressives sur le terrain de l’imaginaire et du désir, en canalisant la légitime colère vers une vision constructive, évoluée, humaniste, émancipatrice, écologique et futuriste.
La #TransitionSociétale est cette vision. L’ensemble des propositions qui en forment le programme constitue une mise à jour systémique de notre civilisation visant à l’adapter aux réalités du XXIe siècle. La Transition Sociétale pose les bases structurelles permettant une sortie concrète de l’aliénation tout en résolvant l’équation de la réharmonisation des sociétés humaines hautement développées avec l’écosystème terrestre. Avec cette transition, nous évoluons vers l’ère de l’épanouissement de l’humanité, une ère dans laquelle le potentiel qui réside en l’homme n’est plus nié, empêché, refoulé par une systémique aliénatoire, mais favorisé, soutenu, valorisé grâce à une organisation adéquate de la société. La Transition Sociétale nous fait entrer dans l’ère de l’Humain à proprement parler. Et plus nous la retarderons, plus nous reculerons vers une abîme d’inhumanité.
Il est irresponsable de laisser croire qu’un effondrement est inéluctable, nécessaire et désirable pour parvenir à un renouveau, quand en réalité un tel effondrement causerait des milliards de morts dans le monde et ferait avorter la dynamique d’évolution en cours en nous ramenant à des considérations primaires de survie, de sécurité et d’appartenance. Il est irresponsable de laisser croire qu’un effondrement serait synonyme d’entraide, quand il nous vouerait à la violence, à l’impuissance, à l’égoïsme et à la mort. La désirabilité de l’effondrement ne repose que sur l’inconscience de dangereux idéalistes et le ressentiment d’anti-systèmes ingrats. L’intelligence créative et constructive peut encore avoir raison de la bêtise régressive. À condition qu’elle ne se contente pas de jouer sur le terrain de l’argumentation rationnelle mais investisse le champ du désir et de l’imaginaire. Notre combat ne se joue pas seulement au niveau des chiffres et des solutions techniques, c’est une bataille libidinale, c’est une bataille culturelle, c’est une bataille de récits. Nous devrons être capables de faire émerger un nouveau grand récit pour la nouvelle ère si nous voulons déclencher une puissante vague d’émotion qui répandra les idées que nous portons dans son sillage. Nous avons besoin d’artistes, nous avons besoin de travailleurs acharnés, nous avons besoin de penseurs innovants et nous avons besoin de financeurs pour porter tout cela dans la matière. Les forces de régressions organisées ont tout cela. Pourquoi pas nous?
Cette détestation de l’humanité et du monde moderne nous invite enfin à retravailler le jugement que nous portons sur nous-mêmes de façon à retrouver l’équilibre dans nos perceptions. Se peut-il qu’une des tâches fondamentale de l’humanité pour entrer dans la nouvelle ère soit d’apprendre à s’aimer? Aimer le chemin parcouru, aimer le stade où nous en sommes parvenu, aimer l’aspiration qui nous porte à vouloir aller toujours plus loin et nous améliorer encore et encore.
S’aimer soi-même en tant qu’humanité, c’est peut-être là la tâche la plus importante à accomplir au carrefour de notre destin. Car en cette heure décisive, c’est selon que nous nous aimerons ou pas que nous déciderons si nous méritons de continuer ou pas, de nous battre ou pas, d’exister ou pas. Il s’agit d’embrasser nos qualités comme nos défauts. Ne pas voir que le pire. Ne pas voir non plus seulement le meilleur. Mais viser l’équilibre du jugement. C’est cela, aussi, être constructif. C’est ce que nous enseigne la légende des deux loups : il y a le pire et le meilleur dans cette humanité. La question n’est pas de savoir si l’homme est un être bon ou mauvais. La question est de savoir ce que nous choisissons de nourrir individuellement et collectivement. Un jugement équilibré nous conduit à l’attitude constructive. Il faut que l’homme se déteste pour pouvoir désirer l’effondrement. Une humanité qui s’aimerait ne pourrait vouloir qu’évoluer.