Malthus avait-il finalement raison ? Parce que si nous sommes parvenus à répondre aux besoins de la population, qui s’est multipliée par dix depuis son célèbre propos décliniste, pour l’assumer nous avons exploité le capital Terre jusqu’à le sacrifier. Nous avons vécu à crédit et maintenant il faut rembourser.
On a cru, il y a encore peu, que Malthus avait eu tort parce que nous avons réussi à le démentir, la population s’est multipliée et nous avons augmenté la ressource au fur et à mesure. Nous savons aujourd’hui que ce n’était pas pleinement le cas au vu de la facture assez terrible que nous nous apprêtons à payer. Nous allons au-devant de plusieurs décennies, probablement plus de 30 ans, horribles, où des centaines de millions de gens victimes du réchauffement climatique devront abandonner leur lieu de vie, là où, parfois, avant eux-mêmes, leurs ancêtres sur des milliers de générations ont vécu. Ils vont devoir soit abandonner leur culture, soit se confronter aux nationalismes. La bêtise et la méchanceté vont régner, appelant à couler les bateaux, à refouler les intrus, au repli sur soi, engendrant la violence, des famines, des troubles sociaux, amplifiés par les cataclysmes climatique, sources de pénuries, de souffrance et de destructions. Nous avons une dette envers la nature au-dessus de laquelle nous nous sommes placés par arrogance, exploitant nos capacités à notre prospérité exclusive, sans réfléchir à sa protection, rognant le fabuleux capital sur lequel nous étions assis.
Donc tout est une question de temporalité, parce qu’après la tempête que représente cette période de quelques décennies, le temps de nous adapter en entrant dans la nouvelle civilisation où l’humanité est devenue capable de se soustraire à la contrainte de la ressource, viendra le beau temps. Si on considère cette période pour ce qu’elle sera à échelle géologique, anecdotique, alors Malthus aura eu tort, parce que, finalement, les courbes de la population et de la ressource se seront croisées, mais nous aurons franchi le point. Si nous la considérons à échelle humaine, alors il avait raison. Quelques décennies, ce n’est rien à l’échelle de l’Histoire, un instant fugace, mais à échelle humaine, c’est quasiment une vie d’adulte. Ceci implique que nos jeunes vivront l’essentiel de leur vie dans la force de l’âge dans une période troublée, ce qui est évidemment propice au fatalisme. Néanmoins ils auront en compensation la formidable connaissance apportée par l’extraordinaire croissance du 20e siècle, unique dans l’Histoire. Qui leur apportera une espérance de vie très longue, en bonne santé, une vie largement soulagée des handicaps et des maladies atroces qui ont émaillé les siècles jusqu’à aujourd’hui où le cancer, l’obésité, le diabète, le Parkinson, l’Alzheimer, font encore de véritables ravages, mais de moins en moins. La connaissance leur apportera également la capacité de répondre à leurs besoins en se soustrayant aux contraintes des limites planétaires. Ils vivront l’humanité prospère qui s’envole vers les étoiles, évoluant vers un nouveau modèle économique. Lorsqu’ils fêteront Noël 2100 avec leurs arrière-petits-enfants, ils auront un monde dépollué, où le paysage aura changé, mais le réchauffement climatique inversé, l’environnement restauré, la biodiversité considérablement rétablie.
Le vrai fond du problème c’est que la population aime se faire peur, faute à un instinct reptilien de conservation maintenant tout esprit en état de vigilance et considérant à priori tout changement comme hostile, par sécurité, avant de réfléchir puis comprendre. Toute personne qui tient un propos décliniste, convaincue que la seule voie sera de régresser, d’accepter notre sort, est perçue comme éclairée et ceux qui la suivent comme des éveillés. Alors que tout individu réellement conscient des choses, informé, qui observe ce qui se fait et possède ainsi la connaissance du changement en cours, au lieu de se focaliser sur ce qui ne se fait pas et qu’il estime devoir se faire, qui tient des propos constructifs, est perçu comme « une victime des merdias », « un suppôt du capitalisme », un « boomer », un « obscurantiste aveuglé par BFMTV qui veut notre fin à tous », ou même un climatosceptique ou un dénialiste ignorant.
« Au moins depuis l’époque des prophètes hébraïques, qui ont mêlé à leur critique sociale des présages de catastrophes à venir, le pessimisme est devenu synonyme de rigueur morale. Les journalistes croient qu’en accentuant les aspects négatifs, ils s’acquittent de leur devoir de chiens de garde, de déterreurs de scandales, de lanceurs d’alerte, de briseurs de nos confortables certitudes. Et les intellectuels savent qu’ils peuvent installer instantanément une atmosphère solennelle en pointant du doigt un problème non résolu et en proclamant qu’il s’agit du symptôme d’une société malade. L’inverse est vrai également. Le journaliste financier Morgan Housel a observé que les pessimistes nous donnent l’impression de vouloir nous aider, tandis qu’à entendre les optimistes, on a plutôt le sentiment qu’ils veulent nous vendre quelque chose. Chaque fois que quelqu’un propose une solution à un problème, les critiques s’empressent de souligner qu’il ne s’agit pas d’une panacée, d’une solution miracle ou universelle, mais d’un simple pansement ou rafistolage technologique qui ne traite pas le mal à la racine et qui nous retombera dessus sous la forme d’effets secondaires et de conséquences imprévues. Bien sûr, comme rien n’est une panacée et que tout ce qu’on entreprend a forcément des effets secondaires (il est impossible de ne faire qu’une seule chose), cette rhétorique courante ne recouvre guère autre chose que le refus d’envisager la possibilité d’améliorer quoi que ce soit.
Le pessimisme au sein de l’intelligentsia peut aussi correspondre à une forme de surenchère. Une société moderne est une sorte de championnat mettant aux prises les élites politiques, industrielles, financières, technologiques, militaires et intellectuelles, qui luttent pour s’assurer un maximum de prestige et d’influence, et jouent des rôles différents dans son bon fonctionnement. Se plaindre de la société moderne peut être une façon détournée de rabaisser ses rivaux – c’est-à-dire de permettre aux universitaires de se sentir supérieurs aux hommes d’affaires, aux hommes d’affaires de se sentir supérieurs à la classe politique, et ainsi de suite. »
Steven Pinker, Le triomphe des Lumières
Tout au long des décennies de crise que nous allons vivre, nous allons avoir un déluge de la part des effondristes, collapsos/déclinistes/décroissants avec des : « vous voyez, on avait raison », « on vous l’avait bien dit », « on vous avait prévenus mais le Kapital… », des propos qui trouveront leur public, déstabilisant la société générant une certaine fraction de catastrophes auto-réalisatrices convaincantes, suscitant l’opposition à la résolution des problèmes, aggravant la situation qui s’auto-entretiendra… alors que ce ne sera qu’une crise, majeure, probablement la plus drastique de l’Histoire de l’Humanité en raison de la conjonction d’éléments mortifères, et non pas un effondrement. Et cette situation perdurera jusqu’à ce que les actions mises en place deviennent suffisamment évidentes pour que renaisse l’espoir, calmant les ardeurs. Une situation à laquelle jamais dans l’Histoire l’Humanité n’a été autant dotée de possibilités pour y répondre, dont il ne s’agit que de les mettre en œuvre une fois que celles à l’origine du problème seront enfin définitivement échues une fois les résistances au changement passées.
Les périodes de crise sont propices au populisme, et on le voit proliférer sur la planète, avec toutes ses conséquences. Le populisme c’est tenir un propos semblant aller dans le sens de la population, sans égard pour sa teneur qualitative et plus il est simpliste et démago et plus il est accessible et donc acceptable par une fraction massive de la population, amenant le succès populaire plus ou moins bien intentionné. En réalité, les arguties sur les futurs manques de ressource ou d’énergie niant par habitude et par principe la possibilité même de la transition et justifiant à l’occasion, dans les pires des cas, des propos aux relents inhumains, ne reposent que sur les limites du modèle du 20e siècle qu’elles projettent de façon linéaire sur le modèle du 21e siècle comme si les choses étaient immuables. Les possibilités sont bel et bien là, il faut juste accepter de les voir, aussi bien l’énergie que la matière, non seulement nous n’en manquerons jamais, mais nous en aurons exponentiellement de plus en plus. Désormais, la ressource ne dépend plus de la capacité de la Terre, mais de la connaissance. Au 20e siècle nous étions confrontés aux limites planétaires. Demain, les limites planétaires seront là où nous les fixerons, c’est l’humain qui les détermine en fonction des moyens qu’il se donne. C’est une question de volonté et de détermination, par l’organisation sociétale et le comportement social, aidés par la technologie. La Connaissance forme un tout, fait de science, de spiritualité, de technologie, de nature.
Le fer, l’alu et le cuivre figurent souvent en tête de liste. Mais le fer et l’alu pourront être remplacés très avantageusement par la fibre de carbone à base de CO2, autrement dit, en dépolluant l’environnement nous produirons de quoi accélérer sa décarbonation. Or la production d’acier et d’aluminium est très énergivore, de la remplacer libère de l’énergie qui sera simplement redirigée. Quant au cuivre, on pourra le remplacer aussi bien par des conducteurs en carbone, également produits à base de CO2 que par de l’alu reformé lui-même remplacé par de la fibre de carbone, ce qui va en libérer des quantités. La pensée doit être systémique pour comprendre, ce n’est pas que l’on ajoute une technologie ici et une technique là pour compenser une problématique, les besoins n’augmentent pas, ils changent, ce qui induit une hausse de la consommation d’énergie de plus en plus propre et de plus en plus optimale. La ressource, ce qui inclut l’énergie, nous n’allons jamais en manquer, non seulement nous n’en manquerons jamais, mais nous en aurons exponentiellement de plus en plus. Mais, bien évidemment, ce ne sera pas la ressource consommée par le modèle et les technologies du 20e siècle qui induit aujourd’hui les pénuries que nous connaissons mais ne présagent en rien l’avenir. La société finira par changer, apprenant à gérer l’eau, à produire de l’énergie propre, à remplacer les matériaux rares, à cultiver et produire sans ravager l’environnement, mettant en place les nouvelles possibilités. Le monde tel que nous le connaissons aura alors cessé d’exister dans 30 ans, tandis que les brumes de la crise commenceront à s’éclaircir, sur une nouvelle industrie, une humanité plus en symbiose avec son environnement, un espoir plus rassurant, éteignant progressivement les résistances. S’il y a une chose dont l’humanité ne manque pas, c’est de courage et de détermination, ce qui lui a permis de passer un certain nombre d’épisodes au cours de son Histoire, dont certains ont tout bonnement éradiqué la moitié de la population, engendrant la peur et le désespoir, mais jamais l’abandon et nous sommes là aujourd’hui, malgré tout.