(Dé)croissance ?

L’image d’en-tête est accessible en pleine grandeur ici Vous devriez l’observer dans le détail avant de lire cet article.

Nous devons nous rassembler pour répondre aux impératifs de l’avenir, franchir les murs que l’humanité rencontre. Nous rassembler alors que l’un des murs est précisément la fracturation de la société à l’échelle de la gravité de la situation dont l’accélération constante aurait ravi Newton.

Si nous nous retrouvons face à un complexe unique de murs dans l’Histoire de l’Humanité, avec toutes les solutions à notre portée, pour les franchir en exploitant ces possibles nous devons au préalable franchir le plus haut de tous : nous-mêmes ! A ne pas s’y tromper, nous ne nous entendrons jamais, la politique aura toujours son mot à dire. Mais nous rassembler n’implique pas d’avoir la même vision sociale, mais la même conscience des choses, d’intégrer les paramètres qui doivent évoluer et ne pas se disperser dans des luttes futiles qui n’aboutiront jamais. Il s’agit d’admettre que nous voulons tous la même chose et que pour l’atteindre il y a des moyens qui sont nécessaires, même si leur mise en œuvre relève de convictions politiques. Il s’agit donc ici de mettre en exergue les points sur lesquels il est possible de se rejoindre et résoudre ce qui n’est en réalité qu’une question de sémantique, les adeptes de la décroissance et de la croissance étant d’accord sur le fond. 

Les notions de croissance et décroissance sont au centre des débats et le parasitent, compromettant l’évolution vers les possibles qui pourtant sont là, ils existent. La décroissance étant beaucoup plus populiste et la croissance beaucoup plus connotée, la première remporte les suffrages et submerge la seconde. Alors que techniquement la première soit condense les croyances et idéalise un modèle de société bucolique, probablement idyllique, mais dont il est important de comprendre l’aspect mortifère, soit n’exprime pas clairement que sa seule intention est d’apaiser la société, de sortir de la frénésie hystérique du modèle industriel reposant sur le travail. Et la seconde n’est en réalité pas du tout ce que ses opposants en disent par rejet de l’argent et du progrès, ce qui nécessite au passage d’avoir la chance de faire partie des peuples qui en bénéficient pour se l’autoriser. Il suffit d’admettre que la croissance représente simplement les moyens, la capacité de faire. Les tenants de l’idée décroissante évacuent, plus ou moins consciemment, les paramètres qui la contredisent. Ses tenants radicaux usent de subterfuges tels que : « il faut accepter l’idée d’imposer par des mesures de contrainte » ou « il faut accepter que ce nouveau modèle ne conviendra pas à tout le monde » et, bien sûr, « nous devons tous faire des efforts ». Ce qui apporte un petit caractère sacrificiel donne son sens à l’action, et ceux qui ne veulent pas sont des boomers ou des capitalistes réacs qui résistent à l’évidence.

Évidemment, c’est facile et mentalement confortable et confère un caractère de probité morale apparente. Seulement, la transition écologique doit être positive pour tous, représenter une nouvelle ère de prospérité, de confort et de liberté et non pas de privations et de contraintes acceptées sous prétexte de survie. De fait, l’idée de croissance est beaucoup plus complexe, beaucoup plus connotée en tant qu’expression de l’avidité et de la cupidité, et donc moins accessible, plus difficile à intégrer, que l’idée de décroissance, qui a l’avantage d’une simplicité bucolique, délivrant un message poétique. C’est simple, c’est logique, ça fait rêver d’un modèle de société plus humano-centré ou tout un chacun vit une vie paisible reposant sur de nouvelles valeurs. En rêver c’est l’adopter et tant pis pour la réalité. Entendons-nous bien, rêver est un droit, mais pas au détriment de notre avenir. Néanmoins, tous les décroissants ne sont pas radicaux et se contentent d’user de ce terme pour définir l’apaisement nécessaire de la société, à mon sens à tort, puisque cela ne correspond pas à la signification du terme et c’est ce qui trouble les échanges. Avec ceux-là, les croissants ont des atomes crochus qui rassemblent. Ils sont en fait d’une orientation très proche des croissants, ne s’opposant pas par principe à la création de richesse, mais pas à n’importe quel prix. C’est à eux que je m’adresse, puisqu’une fois rassurés, nous nous rapprocherons et ils rassureront les plus radicaux, dont nous avons besoin dans nos rangs pour assurer la transition. 

Les mots ayant un sens, commençons par définir la notion de croissance, histoire que nous partions sur une base commune : la croissance est un terme technique, c’est l’expression du PIB, autrement dit du chiffre d’affaires dévoyé de la nation, qui augmente. La décroissance, c’est donc la stagnation ou la réduction de ce chiffre d’affaires. Et c’est la qualité –aberrante—de ce que représente le PIB qui est à l’origine de la dissension entre les deux positions, les adeptes de la croissance passant péjorativement pour des conservateurs « technosolutionnistes business as usual » et les adeptes de la décroissance pour des écolos primaires populistes. Ce qui peut être considéré pour vrai dans les deux cas sur la base du socle moral sur lequel s’appuient les uns et les autres dans leur appréciation. Et ce alors qu’en fait les deux visent le même objectif. Et j’en veux pour preuve que l’image d’en-tête, lorsqu’elle est vue par un décroissantiste, me dit : « mais, je ne comprends pas pourquoi on n’est pas d’accord ? Moi je suis d’accord quasiment avec tout ce que je vois »…alors que cette image ne fait que décrire un nouveau modèle économique de croissance, mais reposant sur de nouvelles bases. Il ne s’agit pas de « croissance verte », la croissance n’ayant pas de couleur, elle est juste un terme technique. En aucun cas l’expression de la multiplication de l’humain, l’acharnement à détruire pour de l’argent, ou profiter du progrès au détriment de l’environnement, c’est juste une valeur, un flux, alors que la pollution (ce qui inclut la dégradation de l’environnement) est un stock, nous y reviendrons.

Oui, parce que, je ne vous pas l’ai pas dit clairement, mais l’ampleur de la transition écologique, qui doit être systémique et donc touchant à une infinité de paramètres, par opposition aux propositions simplistes (et donc fausses comme toute chose simple dans un système complexe) des adeptes de la décroissance, et les moyens colossaux nécessaires pour y parvenir, font de moi quelqu’un de farouchement adepte de la « croissance ». Et c’est là que les athéniens s’atteignirent, parce qu’en réalité où les uns et les autres se rejoignent, c’est sur le caractère philosophique de la croissance et non pas son aspect technique. La croissance, on peut lui donner un autre nom, mieux adapté à ce dont la société a besoin : le développement sociétal. Autrement dit, l’amélioration de la vie humaine. Et la transition écologique impose simplement que cette amélioration de la vie humaine soit compatible avec l’environnement naturel. Non seulement pour des raisons éthiques, de respect évident pour notre magnifique planète qui nous abrite, mais également pour une raison plus pragmatique : sans cet environnement, nous mourrons. Pour obtenir la formidable élévation du niveau de vie des populations dans les économies avancées au 20e siècle, plus en quelques décennies que depuis l’aube des millénaires de l’Histoire de la civilisation, nous avons ravagé l’environnement. Deux options se présentent à nous désormais :

  • Nous continuons à le dégrader et alors l’avenir de l’humanité est rien de moins que menacé à court terme, quelques décennies. Un avenir vers un monde à la Mad Max, quelques survivants regroupés de ci-de là dans un monde brûlant désertifié.
  • Nous renversons l’état des choses, en restaurant l’environnement, rétablissant la biodiversité, dépolluant le monde, inversant le réchauffement climatique. Et alors non seulement l’humanité survit, mais la qualité de vie s’améliore.

Partant de ce constat, nous devons construire un modèle de société pour le 21e siècle, comme nos prédécesseurs avant nous l’ont eux-mêmes fait à chaque siècle, et les deux, le développement humain et la conservation de l’environnement ne sont pas incompatibles. Le modèle qui nous préoccupe aujourd’hui et que nous critiquons a été instauré par des gens qui vivaient à une époque où l’immense majorité de la population était encore rurale, vivant dans un état de misère insondable, sans aucun confort ni pouvoir d’achat, aucune sécurité, avec une espérance de vie de 45 ans. Il fallait faire une ribambelle d’enfants pour espérer que l’un ou l’autre atteigne l’âge adulte dans de bonnes conditions pour se reproduire. La mécanisation rurale compromettait la vie dans les campagnes, de plus en plus de gens venaient vivre en ville chercher du travail, dans des conditions sordides au 19e siècle. La richesse disponible n’existait tout simplement pas pour élever le niveau de vie de tous et l’état de la connaissance était trop limité pour surseoir à l’exploitation de la force de travail humaine. Autant dire que les solutions possibles n’étaient pas innombrables. Aujourd’hui nous critiquons leurs choix d’aller vers le modèle de société de consommation, consistant à produire massivement, pour que tout un chacun ait un travail, des biens qui ne coûtent pas trop cher, pour que tout le monde ait les moyens de se les offrir, de sorte que tout le monde puisse les produire et qu’ils ne durent pas trop longtemps, de façon à ce que tout le monde ait toujours son travail à les refabriquer. Il était même question d’imposer l’obsolescence programmée de manière obligatoire pour garantir que tout le monde ait un travail, il a finalement été inventé la mode, qui revient au même puisque l’objet, même fonctionnel, ne répondant plus aux formes/couleurs/fonctions du moment, doit être remplacé. A cette époque où l’humanité ne comportait pas même 2 milliards d’âmes, la ressource était surabondante, la nature immense et giboyeuse, tout était possible pour déclencher une phase de croissance apportant avantages sociaux et qualité de vie aux humains qui avaient la chance de bénéficier des bienfaits du capitalisme. Ainsi, alors que juste après la seconde guerre mondiale la population vivait majoritairement en campagne, sans aucun confort moderne, que dans les villes le confort se résumait à une toilette turque sur le palier et un robinet d’eau froide dans la cuisine, dotée d’un évier en pierre, les femmes n’ayant quasiment aucun droit, sinon le droit de vote, obtenu depuis peu, à la fin des « Trente glorieuses », au début des années 70, tout le monde partait en vacances, avait l’eau chaude et froide, une salle de bain, la télévision, une voiture, un compte en banque, accédait au théâtre ou au cinéma, des activités réservées aux riches 30 ans avant. On traverse les continents et les océans en avion, on prend le train, la connaissance a explosé, la médecine comme la technologie ont connu des progrès mirobolants.

Avec la fin des Trente glorieuses en raison des crises pétrolières et géopolitiques au Moyen-Orient, conjuguée à la technologie qui amena l’automatisation, les économies avancées ont vu apparaître le chômage conjoncturel.  S’est alors installé la lutte pour la préservation de l’emploi, l’acharnement à ce que tout le monde puisse continuer à travailler. Comme l’énergie coûtait plus cher il fallait optimiser la production, produire plus avec moins d’énergie, ce que permettait l’automatisation. Mais au détriment des emplois, il fallait donc produire plus pour compenser l’attrition du nombre d’heures travaillées par des humains en proportion de la création de richesse, faussement qualifiée de « hausse de la productivité du travail », alors que ce n’était qu’une hausse de la productivité de l’outil de production. L’économie est progressivement entrée dans la société de surconsommation. Surproduisant de plus en plus frénétiquement de plus en plus de biens de plus en plus mauvaise qualité et de moins en moins chers, aggravant la prégnance de l’économie sur l’environnement, déjà catastrophique et documentée dès le début des années 70 avec le rapport Meadows et des études financées par des pétroliers. Tout le monde avait conscience des ravages de l’économie sur l’environnement, réchauffement climatique, effondrement de la biodiversité, pollution avec les déchets et les exploitations minières, depuis longtemps. Mais il fallait des emplois. La société intoxiquée par l’idée du travail a perdu de vue que le rôle du travail est de répondre aux besoins, il n’est pas une finalité en soi. D’avoir un emploi n’est pas un bienfait, c’est d’avoir une fonction, d’être capable d’apporter quelque chose à la communauté qui est un bienfait. Ce qui n’est pas possible si l’emploi à pour seul rôle de créer la fonction pour celui qui l’occupe qui de fait gâche bêtement sa vie au boulot au lieu de se rendre utile. L’activité humaine doit être porteuse de sens, d’épanouissement personnel, déboucher sur des perspectives.

Dans les années 80, à force de dégrader la qualité de la production, d’augmentation des rythmes de fabrication, de baisse des prix pour parvenir à la vendre, la rentabilité financière industrielle n’était plus là, alors les productions ont commencé à être délocalisées. Ce qui était positif pour les économies émergentes qui pouvaient ainsi se développer à leur tour. Mais chez nous il fallait absolument maintenir les emplois ou en créer de nouveaux tout en « fidélisant » le salarié pour réduire le chômage. Alors on a favorisé le capital, avec le « néolibéralisme », qui s’est progressivement substitué au libéralisme, un droit acquis de haute lutte. Le salarié se retrouve de plus en plus dépendant du patron puisqu’avec le chômage il est facile à remplacer. Patron qui lui est couvé par les Etats en échange de ses emplois. Avantages fiscaux, sociaux, subventions directes ou indirectes, tout est bon pour apporter un semblant de rentabilité artificielle à l’industrie en échange de ses emplois, de sorte qu’il est souvent plus intéressant de profiter de la dette souveraine chez soi, où il y a des infrastructures et du savoir-faire, que de délocaliser. Ce faisant le chômage est limité, mais les acquis sociaux de l’ouvrier reculent. Son droit à l’initiative personnelle pour s’extraire de sa condition est compromis par la dureté des contraintes. En France, le CDI le consacre littéralement propriété de l’entreprise, sous prétexte de protection. Aux USA, avant Reagan, l’accès à la santé et les études étaient garantis à tous, désormais beaucoup n’ont plus les moyens de se soigner et ceux qui font des études et ne sont pas riches s’endettent à vie pour les mener. Se soustraire à sa destinée coûte cher. Les politiques deviennent ultrakeynésiens, on injecte à crédit de plus en plus d’argent dans l’économie pour créer artificiellement de l’activité. Dans toutes les économies avancées, c’est la frénésie de construction d’infrastructures, de lutte contre le chômage, larguant de l’humain comme un aérostier largue du sable pour maintenir suffisamment d’altitude pour continuer d’avancer. Et les dégâts sur l’environnement, déjà considérables et mesurés dans les années 70 deviennent catastrophiques. Les polluants sont partout, la biodiversité est en voie d’extinction, le réchauffement climatique devient intenable. « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » dira Jacques Chirac à l’occasion du Protocole de Kyoto au milieu des années 90 qui doit engager l’humanité sur la voie de la rédemption.

Quasiment 30 ans plus tard, alors que globalement rien n’a encore été fait pour inverser la situation, il est désormais admis que l’avenir de l’humanité est clairement menacé. Les mouvements de la jeunesse pour la défense de l’environnement font du bruit. Les promesses politiques, plus fumeuses les unes que les autres, fusent. Grâce à l’accélération exponentielle de la connaissance qui fait que chaque  jour se produisent des découvertes du siècle, si jamais l’humanité n’a connu tant de murs simultanément, l’intelligence artificielle, l’automatisation, la fin de l’emploi, l’inégalité qui s’est remise à progresser avec le néolibéralisme et l’urgence de restaurer l’environnement, de s’adapter aux changements qu’il impose et d’inverser le réchauffement, jamais il n’a existé autant de possibilités, qui émergent et progressent lentement, suscitant des velléités militantes. Fondamentalement, ce qui est perçu comme négatif est en réalité autant d’opportunités. Après la découverte du réchauffement climatique il y a 20 ans, comme si personne n’était au courant. La panique vis-à-vis du risque d’effondrement il y a 15 ans, qui a engendré la mouvance néo-apocalyptique des « collapsologues » qui se prétendent étudier l’effondrement pour proposer un nouveau monde post-apocalypse positif. Les médias qui s’emparent, catastrophés, du sujet, noircissant des pages, remplissant des journaux télévisés, il y a 10 ans. La finance découvrant les opportunités de la transition écologique s’empare à bras-le-corps de la question, chaque investissement devant contenir sa part écologique, attisant alors les propensions populistes anti-capitalistes qui, partant de l’idée que c’est le volume d’activité au 20e siècle qui est à l’origine du problème prônent de le réduire au 21e pour résoudre le problème, faisant de la pensée décroissante la pensée dominante face aux méchants financiers qui veulent reproduire les erreurs du 20e siècle. Albert Einstein renaît de ses cendres : « Aucun problème ne peut être résolu sans changer le niveau de conscience qui l’a engendré »…limpide, logique… Il faut faire « autrement »…

Il résulte de tout ceci que la pensée décroissante est une réaction épidermique purement idéologique, anti-capitaliste, ce qui, fondamentalement, est en soi tout-à-fait légitime, c’est une opinion honorable par elle-même, bien évidemment. Ce n’est pas de rêver d’un autre modèle le problème, mais d’appliquer au modèle existant des calques imaginaires reposant sur des biais cognitifs. Le capitalisme est accusé de tous les maux, que c’est pour lui qu’on a ravagé le monde, que l’argent prime sur l’environnement. Alors que, factuellement, les seuls pays produisant de l’écologie sont capitalistes. Il n’y a que les pays capitalistes qui ont des lois de protection de l’environnement. Et ce même si elles sont bafouées, que le jeu des lobbys permet de les contourner, que tout n’est pas comme on le voudrait. Mais les pays non capitalistes sont encore beaucoup plus corrompus. De même, la totalité des solutions écologiques, sans exception, sont du fait d’économies capitalistes. Nucléaire, énergies renouvelables, capture et valorisation du carbone, dépollution, recyclage, etc.. Tout ceci est uniquement du fait de l’économie capitaliste sans laquelle ce ne serait tout simplement pas possible. Seul le capitalisme apporte à la fois la diversité des idées et les moyens de les réaliser. Une diversité d’idées ne sert à rien sans les moyens pour les porter à l’échelle. Et des moyens ne servent à rien sans la diversité impossible dans une économie dirigée. Soit l’économie est capitaliste, soit elle est dirigée. Même les chinois ont dû y consentir, inventant le « capitalommunisme », voyant alors émerger des milliardaires, le chômage, mais en contrepartie ils ont soustrait à la misère 700 millions de personnes en 30 ans et leur économie passe aujourd’hui pour l’une des plus prospères du monde, avec les règles anti-pollution les plus dures du monde et installant chaque année plus d’énergies renouvelables que tout le reste du monde réuni. Sans prospérité, pas de capacité, la bonne volonté ne suffit de loin pas et même si tout le monde retournait à la grotte, ça ne résoudrait rien écologiquement.

De facto, ce sont les errances du capitalisme qui sont honnies, ce qui peut se comprendre et alors la propension radicale naturelle est à jeter bébé avec l’eau du bain, ce qui relève plus de la vindicte que de la raison. Mais ce n’est pas de renoncer au capitalisme qui va l’améliorer, d’une part. D’autre part on peut appeler à un autre système, ce qui pourrait être souhaitable, mais comme ça ne se produira pas, c’est hautement dilatoire et donc compromettant de la transition écologique qui pendant ce temps, attend. Et, dilatoire, c’est ce qu’est la tendance décroissante, qui prône de faire moins pour polluer moins. Or polluer moins, c’est polluer quand même et polluer quand même, c’est mourir. Si nous voulons avoir un avenir, il faut dépolluer massivement. Et pour dépolluer massivement, il faut une industrie au moins aussi puissante que celle qui a causé les dégâts, ce qui implique logiquement les moyens qu’apporte le capitalisme. En vérité, les croissantistes ne parlent que de développement sociétal, de développement humain, le PIB n’étant que l’outil de mesure en vigueur aujourd’hui. Aussi erroné soit-il, il est l’élément comparatif technique qui a cours et permet de se positionner. De manière plus concrète, lorsque la croissance (au sens technique du terme, donc du PIB), est en-dessous d’un certain niveau, il y a stagnation et plus bas, régression. Et c’est mesurable sur le recul des acquis sociaux, la progression de l’inégalité, la hausse de la mortalité infantile, l’accès à la santé et l’éducation qui se dégradent. Je prends souvent l’exemple d’une voiture que vous avez acheté. A 2 % de croissance, vous l’améliorez, vous lui mettez une sono puissante, vous lui personnalisez l’intérieur, vous l’entretenez scrupuleusement et donc vous roulez, en plus vous provisionnez ce qu’il vous faudra pour la remplacer. A 1,5 % de croissance, vous faites l’entretien de base, avec des pièces moins chères, vous mettez du carburant et vous changez les pneus, en cas de grosse casse vous devrez faire un crédit pour la réparer ou la remplacer. A 1 % de croissance, vous vous contentez de mettre du carburant et éventuellement des pneus de mauvaise qualité, l’entretien est très limité et la voiture roulera jusqu’à la première grosse casse, elle sera alors une épave rouillée et vous la jetterez et vous n’aurez pas les moyens de la remplacer. A 0,5 %, vous mettez du carburant et vous bricolez avec des pneus que vous trouvez à gauche et à droite, vous vous arrangez entre potes pour que le véhicule démarre et roule encore, mais ça ne va pas durer. A 0 %, quand le réservoir sera vide où qu’il y aura une panne, vous abandonnerez le véhicule et vous irez à pied. Et à pied, on ne va jamais bien loin. Aussi a-t-on financé cette pseudo-croissance à crédit depuis des décennies, par idéologie du travail, nous amenant à un point où l’environnement est si dégradé qu’il n’est plus possible d’avancer sans réagir alors que les moyens pour le faire ont été dilapidés pour ne pas évoluer.

Il y a pourtant un certain nombre de points où les deux camps se rejoignent, raison pour laquelle l’image d’en-tête est acceptée par les décroissants alors qu’elle exprime un modèle d’économie de croissance et de prospérité :

  • La quête de sens, il faut établir l’humain dans ses prérogatives, le mettre au centre de l’échiquier. Résoudre la misère, inverser la progression de l’inégalité, répondre aux besoins de tous et permettre à tous de contribuer dynamiquement pour cela.
  • L’urgence climatique et écologique, si nous ne réagissons pas nous allons dans le mur. Nous devons cesser de saper le vivant, de polluer, de détruire pour répondre à nos besoins et inverser le réchauffement climatique.
  • Il faut impérativement un modèle beaucoup moins frénétique, la société doit être apaisée. C’est-à-dire mettre fin à la surproduction et la surconsommation de babioles absurdes, au suremballage, aux transports inutiles en tout sens, aux gaspillages de toute sorte.
  • Pour parvenir à ça, il faut modifier certains paramètres, renoncer au tout bagnole en changeant le modèle de propriété, stopper la déforestation et l’artificialisation.

Mais tout ceci implique de prendre conscience que ça ne se fera pas sans les multinationales, qui seules ont la capacité d’agir à l’échelle, même si l’initiative locale, démocratique, associations, entreprises, politiques, ont leur mot à dire. Le local produit des effets locaux, pour les effets globaux il faut une autre ampleur. C’est sur le modèle commercial, la gouvernance, qu’il faut agir, introduire une couche démocratique dans toutes les strates de l’économie. Il faudra une foultitude de technologies de pointe, à une échelle aussi conséquente que l’industrie pétrolière aujourd’hui, pour soustraire le carbone qui sature l’atmosphère et produire des énergies propres et donc pas renoncer à la technologie sous prétexte de répéter le modèle qui nous a amenés dans le mur. Que ce n’est pas d’aller à vélo, moins voyager, prendre le train et chauffer à 19° qui va changer la situation, les contraintes se multiplient et le bilan est systématiquement que les émissions ne baissent pas, en raison de l’effet rebond de ces actions. La tentation que de faire moins est la solution puisque le problème est que nous avons trop fait est prégnante, mais évidemment trop simple et donc fausse. Il faut au contraire faire plus pour dépolluer plus. La question étant de savoir que faire de plus ? Il faut plus de reforestation, plus de dépollution du plastique et du carbone, plus d’énergies non polluantes, plus de circularité, de recyclage, plus de technologies alternatives permettant de se substituer aux limites planétaires pour répondre aux besoins de tous, de plus en plus nombreux avec les émergents qui se développent. Tout ça à une échelle gigantesque. Nous ne devons jamais perdre de vue le développement humain. L’idée que l’humain est toxique et sa disparition souhaitable, récurrente dans certaines mouvances décroissantes est un biais cognitif qu’il est crucial de dépasser. La solution à la transition se trouve dans la démocratie et l’empathie, pas la haine et/ou le rejet. La pensée dominante doit être qu’il n’y a rien au-dessus de l’humain, pas même l’environnement, duquel il dépend et qu’il lui appartient de préserver dans son intérêt et non pas que l’environnement est au-dessus de l’humain et qu’il doit s’y adapter ce qui compromet son développement et donc sa capacité à s’adapter à l’environnement. L’humain est le seul animal de la création qui a la capacité d’influer sur son environnement, ce qui est une opportunité possible, non une fatalité en raison de son organisation sociale résultant des siècles précédents où il a dû lutter pour sa survie. Le passé n’est là que pour le souvenir et comprendre, il ne représente pas l’avenir.

La croissance n’a en soi rien de négatif, elle est neutre. La croissance n’est que l’expression de ce que la société valorise, c’est juste un flux, une valeur. Elle n’a aucune connotation de cupidité, aucune conséquence écologique. C’est uniquement ce que la société a valorisé qui est la cause du problème écologique. La croissance n’a pas toujours reposé sur la production industrielle comme c’est le cas depuis le milieu du 18e siècle. Auparavant, durant l’essentiel de la civilisation, la croissance a reposé sur la guerre, l’expansion territoriale et le pillage du voisin. Cette croissance dominante a duré des milliers d’années. L’extraction des matières premières et l’agricultures ne venaient qu’en arrière-plan. La technologie ne permettait pas de valoriser suffisamment les matières premières et l’agriculture était trop inefficace pour faire plus que tenter de nourrir la population, avec plus ou moins de succès. La connaissance se développant, la croissance a fini par reposer sur les échanges économiques, l’architecture. Puis la société devenant plus inclusive grâce à l’invention du crédit, qui permet de multiplier l’argent disponible et donc à de plus en plus de gens de condition inférieure d’y accéder, la diversité des idées mène à l’apparition de l’industrie, qui permet d’améliorer la productivité agricole et donc de mieux répondre aux besoins d’une population de plus en plus capable d’initiative. C’est ça la valeur que porte la croissance, sans laquelle la prospérité viendrait toujours de la guerre et 80 % de la population serait de condition vile. De passer du chasseur-cueilleur au cultivateur, apprendre à réaliser des outils puis maîtriser le feu, c’est la croissance qui prévalait à l’époque. De nos jours, la croissance c’est de passer à l’échelon social suivant, de porter l’humain au rang suivant de son évolution qui lui revient de droit et pour lequel la nature l’a spécifiquement doté en restaurant l’environnement et établissant un modèle économique compatible avec les conditions imposées par la préservation de l’environnement, indispensable à la survie de l’humanité. Si l’idée que ce n’est pas possible vous trotte dans la tête, c’est juste que vous ne savez pas comment faire, pas que la croissance est néfaste. La réponse n’est pas dans l’idée de décroissance, mais dans l’idée de chercher et comprendre. C’est plus compliqué, plus fastidieux, mais tellement plus passionnant et tellement porteur de valeur écologique et humaine.

La pollution, ce qui inclut donc l’attrition de la biodiversité, la désertification, l’épuisement de la ressource, etc., n’est qu’un stock. Il n’existe strictement aucun lien de causalité, aucun rapport de cause à effet entre la pollution et la croissance. La croissance a reposé sur des choix, faits par la société à un moment donné de son Histoire en raison des paramètres présents à ce moment-là, qui ont engendré en conséquence la pollution. Nous avons la possibilité de faire d’autres choix, avec les mêmes conséquences économiques, mais qui non seulement inverserons les effets néfastes de la croissance des siècles passés et en plus mettrons en place un modèle plus favorable à l’épanouissement de l’humain et la préservation de façon de plus en plus prégnante de l’environnement. Pour faire ces choix et ne pas s’orienter vers l’inconséquence de la décroissance qui relève de l’ignorance, il faut chercher et comprendre les possibles, c’est un travail à faire, sur soi, avec les autres, ensemble. L’information existe et lorsqu’un possible se présente il faut chercher à le comprendre sans le rejeter par principe.

De fait, ce n’est pas la croissance qui pollue, mais l’emploi. Tout simplement parce que pour avoir suffisamment d’emplois pour tout le monde, il faut avoir une surproduction systémique. La transition écologique va générer quantité de nouveaux emplois, d’excellente qualité qui plus est, mais de loin pas de quoi remplacer la masse d’emplois du modèle industriel du 20e siècle. Et donc ça fait que de rechercher à créer de l’emploi, lutter contre le chômage, plutôt qu’évoluer vers le modèle du 21e siècle implique de ravager l’environnement. C’est très simple à comprendre avec l’exemple du suremballage. Lorsqu’on veut vendre, on a deux solutions : le vrac… ou l’emballé. Et après on peut suremballer. Soit on récolte et on distribue à la population. Soit on transporte jusqu’à l’étranger où on calibre et conditionne, ce qui fait des emplois pour la construction des camions, leur conduite et pour calibrer et conditionner. Ensuite on exporte de là vers ailleurs, encore du transport, encore des emplois. Puis on suremballe, il faut un nouveau film, c’est-à-dire du plastique, de l’encre, de l’impression, du coupage, du conditionnement et tout ça c’est des emplois. Rien que mettre fin au suremballage en Europe on peut compter sur au bas mot 5 millions d’emplois en moins, rien que pour ça. Donc, d’appeler à moins transporter, à moins suremballer, à moins surconsommer, c’est de l’emploi qui s’en va, des centaines de millions d’emplois, ce qui rend la société moins frénétique, moins hystérique, terminé les troupeaux d’ouvriers qui s’entassent dans des RER sordides, qui passent des heures dans les bouchons, pour aller rejoindre leur bullshit job qu’un robot ferait mieux qu’eux et plus proprement. A la place, chacun interagit localement, dans une économie réhumanisée, où le travail a été remplacé par de l’activité économique, plus démocratique, faisant appel à la corde sensible de chacun, plus écologique.

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Auteur/autrice : Thierry Curty

Designer sociétal, inventeur d’un concept intégral économique, écologique et sociétal, co-fondateur de Courant Constructif, auteur, Fervent contemplateur de l’Humanité. De convictions profondes et à l’esprit libre. Passionné d’Économie, de Sociologie, d’Écologie, dans une vision holistique, l’épistémologie est le moteur de ma réflexion, source de ma conviction. Je soutiens la transition sociétale, inéluctable à terme, préalable incontournable des grandes transitions, écologique, énergétique, agrobiologique, qui en sont ses corollaires, et tente de l’expliquer et la dédramatiser, de faire passer le message que loin d’être une fin elle est un nouveau commencement, une solution aux problèmes que nous rencontrons aujourd’hui. Inéluctable, mais aussi nécessaire et souhaitable, confortable pour tous.

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