La fin du travail, la fin de l’emploi, la fin des haricots, la fin de tout, terrible, qui fait peur, tous au chômage, dans la misère, inutiles, vivant d’assistanat, quelle horreur ! Mais qu’allons-nous devenir ?
Ce ne sont pas les machines qui sont responsables de la fin du travail
Elles sont là depuis longtemps et bien qu’elles aient eu engendré des tensions sociales par le passé, elles se sont révélées injustifiées (les tensions, pas les machines). Parce que ces machines n’étant pas capables de travailler seules, elles eurent besoin de l’Homme qui s’éleva alors au rang d’opérateur. Elles engendrèrent de nouveaux emplois, de bien meilleure qualité, mieux rémunérés, créant une richesse qui apportât à la population une explosion de son niveau de vie comme jamais dans l’Histoire de l’Humanité. Un niveau de vie qui se perpétue largement aujourd’hui, même si sa progression doit désormais se faire à crédit, faute de la fabuleuse croissance des machines et en raison du chômage qui augmente sans cesse depuis la fin des « Trente glorieuses », la période faste que nous devons à ces machines qui étaient censées prendre notre travail.
C’est l’intelligence artificielle qui va réduire nos emplois à peau de chagrin
Parce qu’elle va remplacer l’Homme dans sa fonction de technicien acquise avec l’arrivée des machines, qu’elle va rendre autonomes. Elles n’auront plus besoin de personne pour fonctionner et c’est tant mieux, encore faut-il comprendre pourquoi. Cet ultime remplacement va libérer l’Homme de ses fonctions au sein de l’outil de production. Et c’est cette libération ultime qui est à la source de l’angoisse sociale, qui pose la question : « qu’allons-nous devenir ? ». A cette question existentielle, la réponse est : « disponibles pour d’autres choses plus gratifiantes ». Une nouvelle fois l’humain va s’élever au rang suivant de son évolution.
Cette peur atavique de l’oisiveté est récente
Elle est issue de la révolution industrielle, qui a inventé le travail. Avant ce travail, chacun avait ses activités, le défrichage, le bétail, les cultures, la Corvée pour les « vils », la chasse ou la protection de la population pour les dominants, dans une société pyramidale très fortement hiérarchisée. Avec la révolution industrielle, les perspectives technologiques s’élargissent. Le délai de similarité se raccourcit. Auparavant, que vous naissiez au début du 14ème siècle ou la fin du 15ème, la différence de niveau de vie était moindre, dans un sens aussi bien que dans l’autre d’ailleurs, l’évolution n’allant pas toujours dans le même sens. Le monde était sensiblement le même à quelques innovations à la marge près, les armes à feu au 14ème, l’imprimerie au 15ème. Avec la révolution industrielle, que vous naissiez en 1730 ou en 1790 le monde n’était plus du tout le même, l’évolution s’accélère. Elle s’accélère de plus en plus vite, 1810, 1830, 1870… chaque génération voit du changement, la Révolution qui signe la fin du féodalisme, puis émergent les machines à vapeur, les mines de charbon, le train, l’électricité, le téléphone, l’automobile et ça s’accélère continuellement, après des millénaires d’évolution tranquille. Il y a plus d’évolution en une génération qu’auparavant sur deux siècles.
Pour exploiter la puissance des machines, il faut des bras
La technologie ne permet pas la réalisation de machines automatiques, l’esclavage étant aboli, la force de travail se trouve donc exclusivement dans la population. C’est dans les campagnes que la révolution industrielle se répand le plus vite. A une époque où l’essentiel de l’industrie est agricole, c’est là que les machines s’installent naturellement, dans les exploitations, facilitant les moissons, augmentant les rendements, améliorant la rentabilité de chaque intervenant, fermier ou valet de ferme, dont de plus en plus se retrouvent désœuvrés. Contraints d’assurer leur survie, ils quittent en masse leurs campagnes pour trouver de quoi gagner leur vie en ville dans un gigantesque exode rural.
En ville on leur donne un maigre salaire en paiement de la mise à disposition de leurs bras pour manipuler le fret issu des échanges économiques qui augmentent exponentiellement ou pour alimenter les machines en charbon ou matières premières qu’elles transformeront en produits finis qu’il faudra expédier ailleurs. La société découvre alors le travail, avec les horaires, les contraintes, le chômage naturel, qui est alors positif, les seules vacances dont l’ouvrier dispose. Ce dernier n’est alors qu’un esclave à disposition des patrons. Simplement, au lieu que son maître assume son entretien, logement, habillement, argent de poche, on lui donne son salaire, de quoi survivre jusqu’au prochain salaire, de sorte que l’ouvrier est libre de travailler où il veut et le patron est libéré de la contrainte de devoir l’assumer, lui laissant plus de temps et de moyens pour ses propres activités. Il n’en reste pas moins que le patron est chez lui et l’ouvrier lui appartient, en cas de rébellion, il paie une milice pour le mettre au pas, au fusil si nécessaire et éventuellement avec le renfort de la Police. De toute façon, s’il y a des morts, la perte n’est pas bien grande, la main d’œuvre ne manque pas.
A cette époque ne sont patrons que ceux issus de la bonne société avant la Révolution
Le Capitalisme ne concerne pas tout le monde, puisque pour posséder son outil de production, il faut avoir de l’argent, or le pouvoir d’achat des masses est tout simplement proche de zéro. C’est tout juste si une classe moyenne naissante peut profiter du nouveau concept des grands magasins. Ce n’est qu’au tout début du 20ème siècle que les gens de condition modeste, moins déconsidérés, que le citoyen accédera progressivement aux joies de la consommation, dont le rôle est de donner du travail aux machines et non pas à l’ouvrier, qui lui nourrit la machine pour lui permettre de produire. L’école n’apparaissant que progressivement, jusqu’à devenir obligatoire au 19ème siècle, la masse est largement inculte, lui refrénant d’éventuelles velléités d’émancipation. Ce faisant, jusqu’au tout début du 20ème siècle le patron est dominant, l’ouvrier subit sa condition depuis plus de 150 ans. Elle est devenue normale, naturelle et quiconque de petite condition ne travaille pas est un fainéant.
En 1873, la crise bancaire, c’est le début de la Grande dépression
Le ralentissement économique met à la rue des millions d’ouvriers qui sombrent dans la misère. Les patrons en profitent pour avoir de la main d’œuvre très bon marché, c’est ça ou périr. C’est l’époque décrite par Émile Zola dans Germinal. Le salaire est si bas que l’ouvrier change d’emploi pour quelques sous, il faut donc le fidéliser pour qu’il reste dans l’entreprise, c’est l’apparition du Paternalisme. Le patron fait figure de héros qui protège et nourrit son ouvrier. En réalité, celui-ci, une fois installé dans sa petite maison mal isolée et mal chauffée, avec son maigre salaire, s’il veut partir, il perd tout, le voilà donc fidèle, même si on lui présente un meilleur salaire, le coût de son déménagement étant supérieur au gain éventuel.
En 1929, krach boursier, une nouvelle Grande dépression
De surcroît juste au sortir d’une guerre mondiale abominable durant laquelle l’ouvrier a payé un lourd tribut sous les ordres d’officiers bien à l’abri dans leurs bureaux. Les patrons ayant été maintenus dans leurs fonctions pour ne pas compromettre le fonctionnement industriel. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Alors que la société se développe, se complexifie, que l’industrie a connu des innovations gigantesques, l’ouvrier lui ne sert que de force de travail miséreuse quand tout va bien et de pondérateur de la crise quand tout va mal. La grogne monte, les grèves augmentent, jusqu’à leur paroxysme en 1936 avec le Front Populaire.
L’ère des avantages sociaux
L’ouvrier réclame des congés payés, que le risque du chômage soit couvert, des retraites, parce que tout le monde n’a pas la chance de mourir au travail, certains ont le malheur d’y survivre, abandonnés à leur sort une fois trop vieux pour être rentables. On la fixera à 65 ans, alors que l’espérance de vie est de 45 ans. Autant dire que peu nombreux sont ceux qui en bénéficieront, les ouvriers à la retraite ne coûtent pas cher. A cette époque, il est hors de question de donner des congés à l’ouvrier. Il a déjà obtenu la journée de 8 heures, qui devait mettre en faillite les entreprises. Il ne va quand même pas en plus aller en vacances, où irions-nous s’il bénéficiait de droits aussi exorbitants ? L’ouvrier a besoin de travailler pour ne pas sombrer dans l’alcoolisme et se laisser aller au jeu au vice et à la débauche pensait-on. Et ce n’était pas tant que l’on s’intéressait à sa santé qu’au risque qu’il ne vienne plus travailler. Même au sein du monde ouvrier les congés payés avaient leurs détracteurs, les anciens maugréant sur les jeunes fainéants qui ne veulent plus travailler. On ressort les vieux titres d’avant 1919 et la journée de 8 heures dans les médias : « la France est perdue, elle ne veut plus travailler, l’ouvrier réclame de nouveaux avantages ».
…Des craintes très similaires à celles d’aujourd’hui avec la fin de l’emploi annoncée par l’automatisation de la production !
Le travail bat son plein
Tout au long du 20ème siècle, profitant des « Trente glorieuses » sitôt la Seconde Guerre Mondiale terminée, tout le monde travaille d’arrache-pied, voyant son niveau de vie évoluer. L’ouvrier est autonome, il a son appartement confortable, ses enfants vont à l’école, il a son crédit pour sa voiture et sa télé. Madame acquiert le droit de vote, puis de travailler, puis d’ouvrir un compte, tout ça sans l’autorisation de son mari, c’est l’émancipation de deux siècles de révolution industrielle. Tout le monde travaille pour produire dans les usines des biens suffisamment bon marché pour que tout un chacun ait les moyens de se les offrir et qu’ils ne durent pas trop longtemps pour que tout le monde ait du travail pour avoir de quoi acheter les biens pas trop durables que tous produisent pour avoir les moyens de se les offrir. La société de consommation bat son plein, c’est les années bonheur. Plein emploi, les horaires sont raisonnables, comme il y a 3 places de travail pour un ouvrier, c’est lui qui fixe son prix, les patrons rivalisent d’avantages sociaux pour attirer ceux qui accepteront de travailler pour eux. Des usines immenses nourrissent des contrées entières. Des villes entières travaillent parfois dans une seule usine, au son de sa sirène, dociles, comme une armée de petits soldats.
La fin du rêve
Cette belle mécanique bien huilée reposant sur la consommation effrénée et considérée alors comme illimitée de ressource naturelle, polluant l’environnement à qui mieux-mieux dans une fantastique insouciance, engendrant tant et tant de bonheur à toute une génération prendra fin en 1971. L’Allemagne, depuis déjà plusieurs années, a renoncé aux Accords de Bretton Woods. En 1967, Charles De Gaulle, alors Président de la République, décrète qu’il en a marre de contribuer à la puissance américaine et fait quitter à la France le « Pool de l’Or ». Les Accords de Bretton Woods vidés de leur substance, d’autant que les Etats-Unis n’étant pas contraints eux à les respecter, aucune limite à l’émission de dollars ne figurant dans les accords, Nixon se retrouve contraint d’y mettre fin en 1971.
Ailleurs, en 1967 le président Nasser décidait de mettre au pas Israël en lui coupant la voie du Détroit de Tiran, économiquement cruciale. Israël considère alors ça comme un acte de guerre et anticipant une éventuelle action belliqueuse arabe met à genoux l’Egypte en 6 jours, induisant une déstabilisation dans le petit monde pétrolier qui se perpétuera jusqu’en 1971 où les Etats-Unis atteindront leur pic de production faisant s’effondrer le prix du baril. L’OPEP instaure un embargo pour tenter de faire remonter les prix du baril. Mais les américains n’en ont plus besoin. Notre puissante économie industrielle reposant sur le pétrole, subissant l’embargo de l’OPEP, connaît alors un brusque coup d’arrêt. La richesse est alors telle qu’elle a néanmoins les moyens d’attendre.
En 1972, Muammar Kadhafi, qui a pris le contrôle de la Libye dans un coup d’État en 1969, a besoin d’argent pour ses grands plans panarabistes et socialistes. Il presse l’OPEP de monter les prix du baril, ce qui risquerait de compromettre encore plus notre belle croissance. En 1973 c’est la guerre du Kippour, une coalition syrio-égyptienne attaque Israël sur les plateaux du Golan et du Sinaï qu’il a colonisés lors de la guerre des 6 jours pour sécuriser son accès au Détroit de Tiran qu’on lui avait coupé. Durant deux jours la coalition avance, le temps pour Israël de reprendre pied pour ensuite repousser la coalition syrio-égyptienne. En, représailles, l’OPEP double quasiment le prix du baril tout en réduisant sa production, la rendant insuffisante pour le fonctionnement de notre puissante industrie, mettant définitivement fin au pétrole très –trop—bon marché et à nos fameuses « Trente Glorieuses ». La croissance ne reviendra jamais.
Après des décennies d’opulence folle, l’Occident se confronte à un fait nouveau
Un fait unique dans l’Histoire de l’Humanité : le chômage ! Avant, il était bienfaisant, l’ouvrier profitait d’avoir perdu son emploi pour se reposer quelques temps, sachant qu’il se retrouverait un emploi facilement. Désormais, il ne s’agit plus d’une transition entre deux emplois, non, il s’agit d’un chômage pathologique, le chômage « de longue durée », de naturel, il devient systémique, de reposant, il devient angoissant. Il appauvrit en masse, il fait peur. Celui qui le subit est un feignant qui vit aux crochets de celui qui travaille et qu’il faut réprimer, générant des tensions sociales au sein même de la classe ouvrière, déstabilisant la société. La lutte contre le chômage s’organise, à crédit. La dette de tous les pays d’économie avancée subissant les conséquences du choc pétrolier s’envole. Grâce aux investissements keynésiens, qui permettent de dilapider l’argent à crédit, le pouvoir d’achat comme le niveau de vie augmentent toujours, mais bien moins vite que durant les éternelles Trente glorieuses qui n’ont duré en fait que 28 ans, à peine une génération.
Le retour de l’inégalité
L’inégalité, qui n’a eu de cesse de se réduire depuis la Révolution, où 2% de la population concentrait plus de 80% de la richesse, des biens et du pouvoir, jusqu’à nos jours où 10% concentre 70% de la richesse mais plus le pouvoir, désormais en mains de tout citoyen en âge de voter, s’inverse ! Désormais, à nouveau, les riches deviennent de plus en plus riches et la pauvreté gagne. Il y a de moins en moins de miséreux, mais aussi de plus en plus de « nouveaux pauvres ». La morosité gagne les esprits qui se réfugient dans l’espoir du plein emploi pour résoudre le problème. Le moindre salarié à temps partiel qui gagne des peccadilles complétées par une obole de l’État conditionnée à de pénibles restrictions est perçu comme un veinard : « au moins lui il travaille », quelle chance.
Le néo-management
Pourtant, alors que jusqu’à la sortie de la Seconde guerre mondiale une infime fraction de la population détenait le capital et donc possédait l’outil de production, contraignant la population à la servir, au cours du 20ème siècle la situation a changé. Grâce à la démocratie, l’accès à la culture, l’éducation, la banque, bon nombre sont de « nouveaux riches » et tout le monde dispose d’un vrai pouvoir d’achat qui permettrait de voir les choses autrement que par cette soumission au travail. La société a évolué, les concepts dits de « néo-management » fleurissent et imposent des visions nouvelles. Il est contre-intuitif d’imaginer que moins un salarié travaille et plus il est rentable. Et pourtant, alors que le français a un nombre d’heures de travail bien inférieur à la moyenne de l’OCDE, plus de vacances, il est parmi les plus efficients.
De plus en plus d’entreprises gérées par de nouveaux gouvernants prônent les vacances illimitées, on prend autant de vacances qu’on veut, au sens propre du terme, avec comme conséquence que le patron doit s’énerver pour que le salarié prenne ses vacances, il n’en veut pas. On préconise la sieste obligatoire et voilà des salles de repos qui apparaissent sur les lieux de travail. Ceux qui protestaient contre les congés payés il y a moins d’un siècle apprécieraient, assurément. Internet permet désormais le télétravail. Là, c’est le sommet, on ne va même plus au travail du tout, non, on est payé pour rester chez soi. Ça a déjà existé à l’ère industrielle, pour les mères de famille qui pouvaient s’occuper de leurs enfants et elles étaient payées « à la pièce ». Une fois par semaine, elles amenaient leurs pièces de la semaine écoulée et on leur donnait en retour un nouveau carton pour la semaine à venir. Pas d’horaires, pas de contraintes, on travaille quand on veut. Le télétravail c’est pareil, on est payé à l’objectif.
Le changement depuis l’apparition du travail est donc déjà notable
Une nouvelle évolution n’est, dès lors, pas exceptionnelle, il faut juste la comprendre pour l’appréhender. De fait, la révolution industrielle de la vapeur, dès le milieu du 18ème siècle, fait du paysan fruste et inculte vivant à la ferme, un ouvrier autonome qui gagne un salaire, paie son loyer et sa nourriture. La révolution industrielle du pétrole et de l’électricité au 20ème siècle a fait de ce paysan fruste et inculte devenu ouvrier autonome un citoyen, qui vote, se cultive, bénéficie de soins qui lui apportent une espérance de vie presque similaire à celle des plus riches. Que la révolution industrielle du numérique fasse progresser une nouvelle fois ce paysan fruste et inculte devenu ouvrier devenu citoyen n’est donc rien de plus que la voie naturelle de l’évolution. A chaque siècle sa progression bénéfique pour tous.
La révolution industrielle de la vapeur au 19ème siècle fait du paysan fruste et inculte un ouvrier autonome.
La révolution industrielle du pétrole et de l’électricité au 20ème siècle fait ce ce paysan fruste et inculte un citoyen qui vote, accède à la santé, l’espérance de vie, la Culture, l’éducation.
La révolution industrielle du numérique au 21ème siècle fera naturellement de ce paysan fruste et inculte devenu ouvrier devenu citoyen un acteur du développement sociétal.
En à peine plus de 200 ans le Capitalisme, qui a remplacé le féodalisme, a tout démocratisé
La Culture, la santé, l’éducation, le pouvoir, le crédit, le niveau de vie, tout, il a tout démocratisé, sauf lui-même. Et ce alors que la notion même de Capitalisme, sa définition, est que chacun bénéficie des retombées de sa propre production afin de contribuer au marché qui ainsi se régule tout seul. Le contraire de ce que nous subissons aujourd’hui où le marché est encore largement contrôlé par une fraction de la population, l’élite, ce qui l’empêche de fonctionner normalement, privant la masse des retombées de sa propre production, creusant l’inégalité qui ronge progressivement les acquis du 20ème siècle, sous les applaudissements de la masse qui demande à ce qu’on les renie dans le seul et unique but de perpétuer l’idée du 20ème siècle au 21ème siècle. Tout, plutôt qu’évoluer vers l’élévation de tous à l’échelon suivant du développement de notre civilisation.
Contrairement à ce qui est cru ce ne sont pas les emplois les plus vils qui sont le plus menacés
Non, ce sont bien les emplois intellectuels. Un simple ordinateur peut déjà remplacer plusieurs journalistes. Les logiciels de comptabilité sont automatiques et intuitifs, on introduit le libellé et le montant et le logiciel comprend de quoi il s’agit et ventile, extrait la TVA, détermine la part récupérable selon les dernières réglementations en vigueur et fera même la déclaration automatiquement. Les sites de juristes virtuels pullulent, on obtient en quelques secondes ce qui prendrait des jours ou des semaines à un humain. Dans dix ans il sera possible de faire traduire à un ordinateur un bouquin de plusieurs centaines de pages dans plusieurs langues en même temps et avec plusieurs profils de traducteurs différents dans chaque langue pour tenir compte des différentes sensibilités. La traduction sera simultanée et bien plus exacte dans les grands événements ou en politique. Terminé que la première année de médecine à l’université de notre Miss Univers Iris Mittenaere devienne « une année de mannequinat dans une grande agence » comme on a pu le voir aux Philippines.
En revanche, avant qu’un robot ne soit capable de remplacer mon compteur d’eau au fonds de son trou, enfoui sous 15 cm de terre sous mon noyer, il va encore s’écouler un peu de temps. Il est bien plus complexe pour un robot de simplement remplir un verre d’eau, même si la carafe et le verre d’eau sont posés devant lui, que de construire une thèse sur un thème de physique nucléaire, quantique ou d’astronomie de 10’000 pages en quelques heures. Aujourd’hui le travail se mesure en matière de valeur et de remplir un verre d’eau ne vaut rien alors que l’intellectualité est la plus forte valeur. Demain il se mesurera en matière de coût et de remplir un verre d’eau coûtera très cher alors que la puissance intellectuelle ne coûtera plus rien.
De fait, un certain nombre d’emplois persistera toujours
…Mais de loin pas de quoi faire travailler tout le monde. Ce qui est une excellente chose, parce que l’égalité ne repose pas seulement sur le pouvoir d’achat, mais également sur les chances de s’extraire de sa condition. Celui qui travaille n’a que peu de chances de s’extraire de sa condition puisqu’il ne peut pas les saisir, il travaille. Il subit sa condition de subalterne. Si la fin de l’emploi était consécutive à un périssement de l’économie, ce serait un drame, mais en réalité, ce qui est aujourd’hui perçu comme un périssement ne l’est qu’en conséquence du refus de l’évolution. Parce que de réaliser les machines qui automatiseraient et sortiraient définitivement l’humain de l’outil de production, le libérant du travail, sont une nouvelle industrie de très haute technologie porteuse de la plus forte valeur ajoutée industrielle que nous ayons connue. À elle seule, cette industrie permettra l’émergence de nouveaux emplois d’excellente qualité, mais la valeur ajoutée qu’elle générera, dûment redistribuée, permettra l’évolution du paysan fruste et inculte devenu ouvrier autonome, devenu citoyen éduqué qui vote vers son statut naturel et démocratique d’acteur du développement sociétal.
La société du futur, interconnectée en permanence grâce à l’outil internet, permet l’interaction de tous sur tous les sujets politiques tant par l’échange que par le financement participatif ou le vote. Tout comme la société a finalement admis que l’ouvrier avait droit aux congés, puis aux vacances, puis au chômage, à la retraite, à des journées plus courtes, qu’il n’était pas normal de lui tirer dessus s’il n’est pas content et même droit à la sieste pour être plus performant, est-ce que le chemin est si long à comprendre que le travail n’est qu’une activité, pas la seule ? Et que l’individu libéré du travail aura enfin le temps d’avoir des activités utiles à tous qui nous permettrons d’imaginer la société du 21ème siècle en déportant son revenu de son salaire au sein de l’outil de production en tant que vulgaire machine-outil vers sa contribution directe à l’économie collaborative, porteuse d’intelligence collective ?
La prétendue « valeur travail » n’est rien
Elle n’est qu’une notion archaïque et absurde. A l’heure où des salariés dans un entrepôt logistique, casque sur les oreilles, recevant des ordres d’un ordinateur pour aller remplir un chariot, une fonction qu’un robot saurait très facilement faire, comme c’est le cas dans bien des entrepôts du monde, où se trouve la valeur travail ? Un humain qui vit aux crochets de l’entreprise dans laquelle il travaille, prenant la place d’un robot qui serait plus efficient et plus écolo que lui, le robot n’ayant pas besoin ni de se déplacer, ni même de parking ou de vestiaire, a-t-il plus de valeur parce qu’il travaille qu’un humain qui collabore dynamiquement à l’économie par ses actes collaboratifs ? Laissant alors le soin à l’industrie de fabriquer des robots à très grande valeur ajoutée qui serviront ensuite à lui éviter l’harassante humiliation de l’exécution des ordres d’une machine ?
Depuis des millénaires de civilisation, l’Humanité n’a eu de cesse de se débarrasser de la corvée du travail, dont le nom lui-même est cyniquement lourd de sens puisqu’il s’agissait d’un instrument de contrainte des esclaves. Lorsqu’il s’agit de soigner une vache qui a des problèmes à vêler, on la place dans un box que l’on appelle « un travail ». Une maman qui accouche, pour exprimer sa douleur, on dit « qu’elle est en phase de travail ». Le travail a-t-il pour principal intérêt d’apporter un salaire ou de n’être qu’un instrument de répression de l’individualité ? Considérer qu’un humain qui a de la valeur c’est un humain qui travaille, c’est lui accorder bien peu d’importance et faire preuve d’un incommensurable mépris de l’Humanité qui a pourtant su évoluer jusqu’ici et nous amener jusqu’à cette fantastique opportunité.
Depuis la fin des Trente glorieuses nous connaissons une croissance atone
Mais ce n’est que le refus de l’évolution nécessaire qui l’impose. De basculer dans l’économie du 21ème siècle par une étape logique, consécutive aux précédentes, pourrait nous redonner, comme chaque siècle à connu la sienne, une nouvelle période faste.
Le 19ème siècle a été le siècle de la puissance, grâce à l’apparition des machines.
Le 20ème siècle a été celui de la croissance, grâce à l’exploitation des machines.
Le 21ème siècle sera celui de l’intelligence, grâce à l’automatisation des machines.
Désormais, ce que nous appelions « travail » pourra être fait « d’activités »
Des activités librement consenties, choisies mais non moins valorisées ou valorisantes. Notre société complexe n’a pas seulement besoin de machines-outils qui produisent, confiant le soin de s’occuper de leurs petites affaires à d’autres quittes ensuite à aller manifester dans la rue de mécontentement qu’elles aient été mal menées dans un intérêt contraire au leur. Pour un certain nombre d’entre nous, les plus riches, ce n’est pas le cas et personne n’aurait l’idée de les trouver indignes. D’autre part, de confiner l’Homme au travail est un gigantesque gaspillage de ressource cognitive pour l’économie, à l’heure ou la puissance de l’intelligence artificielle rendra l’intellectualité si triviale qu’elle sera disponible à tout moment, permettant alors à tout un chacun de n’avoir pour seule préoccupation que l’organisation de la société pour lui et ses semblables.
Il serait plus que regrettable de se refuser cette énième transition sociétale qui exploitera la formidable explosion de l’intelligence au 20ème siècle au profit d’un casque sur les oreilles dans un seul but : travailler plutôt qu’élever notre civilisation vers l’échelon suivant de son évolution au rang qui lui revient de droit et pour lequel la nature l’a spécifiquement doté avec l’intelligence !
Thierry Curty, designer sociétal