Chaque jour, les membres du Courant Constructif sont confrontés aux mêmes objections de la part d’individus tombés sous l’influence de l’idéologie collapso-décroissante qui sévit particulièrement en France. Nous inaugurons ici une série de réponses constructives dans le but de permettre à ceux qui s’impliquent dans la cause écologique de s’armer intellectuellement pour résister à cette hégémonie et faire reculer sur le terrain ses armées d’adeptes anti-solutionnistes.
– Objection n°1: « Vous manquez de vision systémique. Vous faites un focus sur le changement climatique et la transition énergétique et vous occultez totalement la destruction du vivant. »
Réponse :
1°) Vous affirmez, madame, que j’occulte totalement la question animale dans ma conférence d’introduction à l’écologie évolutionnaire, alors que, précisément, j’en parle et ait plusieurs slides dédiées à cet enjeu dans cette même conférence. Que me reprochez-vous? D’avoir abordé la question dans la seconde partie de ma conférence plutôt que dans la première?
Vers une fraternité terrienne avec le vivant – Conférence à Terre de Demain
De plus, si vous vous intéressiez au travail du Courant Constructif, vous verriez que nous référençons et soutenons tout un ensemble de solutions sur l’enjeu de la biodiversité. Saviez-vous par exemple que nous soutenons le Global Deal for Nature ? La sanctuarisation de 30% de la nature à des fins de préservation de la biodiversité ? Que nous défendons les solutions de reforestation, la dépollution des océans, les alternatives aux pesticides, les alternatives à la vivisection, la lutte contre la maltraitance animale, la pêche durable, le financement des pays en contrepartie d’un refus de déforester, la continuation et le durcissement de la lutte contre le trafic d’animaux sauvages et/ou protégés, la fin des delphinariums et des animaux dans les cirques… Tout ceci est dans notre programme de Transition Systémique. Je vous invite à étudier nos thématiques Monde Animal ou Reverdir le monde sur lmc.today, notre base de données constructive, ou encore nos catégories Restauration de l’environnement, pesticides et biodiversité. Vous apprendrez des choses sur ce qu’il est possible de faire pour préserver le vivant, et découvrirez des centaines d’individus de par le monde qui font des choses formidables en ce sens malgré une quasi-absence de valorisation médiatique.
2°) Par ailleurs, le réchauffement climatique est le plus grand danger qui pèse sur le vivant. Dire que se focaliser sur le changement climatique revient à oublier la destruction du vivant est en ce sens un manque profond d’intelligence systémique. Songez aux conséquences délétères, sur la biodiversité, des marées noires, des méga-feux, de l’acidification des océans, de la désertification, du manque d’eau…
À titre d’exemple, on estime qu’1,25 milliard d’animaux ont disparu dans les incendies dévastateurs qui ont ravagé l’Australie en 2019. Or ce genre de catastrophes va continuer de se multiplier avec l’augmentation du réchauffement climatique, décimant le vivant comme jamais. On sait aussi que les organismes calcifiants, tels que les huîtres, les crabes, les oursins, les homards et les coraux, sont particulièrement affectés par l’acidification des océans causée par nos émissions de carbone, car ils dépendent des ions carbonates pour développer et maintenir leurs coquilles et squelettes. Ainsi les récifs coralliens, qui abritent environ 25% de toutes les espèces marines, souffrent de blanchiment en raison de l’augmentation de la température de l’eau.
Des ours polaires aux éléphants d’Afrique, de nombreuses espèces sont ainsi menacées en raison de leur incapacité à s’adapter à un réchauffement climatique rapide. Le rapport Biodiversity Scenarios de la Convention sur la Diversité Biologique explique que le changement climatique et l’acidification des océans vont devenir un facteur d’érosion de la biodiversité de plus en plus important au cours du 21e siècle, aux côtés du changement d’affectation des sols, de la surexploitation des ressources marines et de la pollution des eaux. Dans le même sens, le rapport IPBES-GIEC Biodiversité et changement climatique publié en 2021 montre que le réchauffement climatique est en train de devenir l’un des principaux facteurs de pression sur les espèces et les écosystèmes. Le rapport met à jour de nombreuses interactions causales qui relient ces deux enjeux. Il semble donc parfaitement erroné, d’un point de vue systémique, de considérer qu’en s’occupant de l’un, on négligerait l’autre.
3°) Vous êtes probablement adepte d’Aurélien Barrau pour proférer de telles accusations. C’est en effet ce dernier qui a répandu récemment dans l’espace public cette opposition binaire entre l’engagement climatique et l’engagement pour le vivant, comme si s’occuper du premier revenait à oublier le second par une sorte d’indifférence spéciste.
En réalité, Aurélien Barrau crée des divisions là où il n’y en avait pas. Le développement durable n’a jamais priorisé l’enjeu climatique au détriment de l’enjeu de la biodiversité. Il a au contraire pris en compte ces deux enjeux comme étant deux facettes d’une seule et même crise écologique. L’enjeu de la biodiversité fait ainsi partie des Objectifs du Développement Durable. Je vous renvoie à l’ODD 14, “Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable”, et à l’ODD 15 “Préserver et restaurer les écosystèmes terrestres, en veillant à les exploiter de façon durable, gérer durablement les forêts, lutter contre la désertification, enrayer et inverser le processus de dégradation des sols et mettre fin à l’appauvrissement de la biodiversité”.
Or, nous voyons où mène cette attitude d’esprit lorsque Monsieur Barrau finit par dire, dans une de ses récentes conférences, que « se focaliser sur la décarbonation de l’économie n’a essentiellement aucun intérêt. ». Notre star de l’écologie en vient donc à minimiser dangereusement l’enjeu climatique au profit de l’enjeu de la biodiversité, tombant ainsi dans la caricature inverse de celle qu’il dénonce.
Pour Aurélien Barrau, les efforts de décarbonation n’ont aucun intérêt.
Par quel étrange paradoxe en sommes-nous arrivés à cette situation où des représentants désignés de l’écologie tiennent des discours incitant au désinvestissement des efforts de transition? Comment est-on parvenu à ce que nos stars de l’écologie s’opposent publiquement à la recherche de solutions techno-scientifiques en matière de décarbonation, sans que personne ne note la contradiction performative entre leur statut public et leur discours? Doit-on continuer d’appeler écologistes des penseurs qui sous prétexte de radicalité passent leur temps à s’opposer à la transition réelle? Depuis quand le summum de l’écologie est-il d’être anti-solutionniste? Depuis quand « solutionniste » est-il devenu une insulte? Cette écologie anti-solutionniste n’est-elle pas finalement une anti-écologie? Et si tel est le cas, les représentants médiatiques de l’écologie ne sont-ils pas des usurpateurs occupant l’espace médiatique qui devrait être dévolu aux véritables héros de la transition dont on ignore généralement le nom, et qui travaillent le plus souvent dans la plus grande indifférence à la conception des solutions dont le monde a besoin pour évoluer?
4°) Vous nous reprochez de manquer de vision systémique, alors que nous sommes précisément parmi les plus avancés sur la cohérence systémique de la transition du XXIe siècle.
Vous savez, cela fait 20 ans que nous étudions la crise du paradigme moderne sous toutes ses facettes: économique, énergétique, écologique, spirituelle, sociale, politique… En 20 ans, nous avons eu le temps de passer de l’analyse systémique du problème, à laquelle s’en tiennent généralement les collapso-décroissants, à la prospective systémique des solutions. Notre concept de transition systémique couvre cinq grands volets: la transition énergétique, la transition écologique, la transition agro-écologique, la transition culturelle, qui couvre l’aspect philosophique et spirituel du changement de paradigme, et la transition sociétale qui comprend le volet économique et social, soit l’évolution vers un altercapitalisme de type contributiste, en attendant le dépassement du capitalisme qui devrait survenir, d’après nos analyses prospectives, vers 2080. Je vous mets au défi de trouver une seule association dans le monde qui ait une telle amplitude de vue, qui plus est sans financement.
Les collapso-décroissants dont vous admirez tant la conscience systémique, conçoivent certes la systémique du problème, mais en matière de solution ils sont encore parfaitement binaires, jouant l’écologie contre l’économique et le social, l’évolution naturelle contre l’évolution humaine, les solutions éthico-politiques contre les solutions techno-scientifiques, la cause animale contre la cause climatique, l’écologie militante contre l’écologie entreprenariale… Tandis que nous intégrons toutes ces dimensions dans notre modèle systémique, sans les opposer, sans diviser les acteurs de la transition. C’est ce qui rend notre vision si puissante, mais aussi sans doute plus difficile d’accès, car plus complexe. Il est facile de ne pas prendre en compte certaines dimensions du réel et de s’en tenir à une posture purement oppositionnelle. Ou de ne proposer que des mesures régressives et dictatoriales parfaitement irréalistes pour nos sociétés et de rager ensuite face à la paralysie écologique que l’on a soi-même contribué à engendrer.
Benjamin Rodier
*** RDV à Paris ce 18 décembre 2023 pour une nouvelle présentation de l’écologie évolutionnaire aux Arts et Métiers. Inscriptions ici ***