J’ai déjà évoqué la transition culturelle, ce passage de la culture des classes supérieures à celle des classes moyennes en modèle dominant. Le passage d’une culture de la domination à une culture de l’émancipation. Mais ce préalable peut faire de la culture un outil majeur de la dépollution des esprits. Au cours de l’histoire la culture a déjà été un instrument qui a permis de tirer les peuples vers la haut. Et demain plus encore, ce rôle lui sers dévolu. Regardons comment donc la culture et notamment la pop culture peut intervenir comme outil de dépollution des esprits.
En 1954 au Japon sort le film Godzilla. À l’époque les Japonais ont subit le traumatisme des deux bombes atomiques. Et curieusement ce film va exorciser ce traumatisme originel en désacralisant la catastrophe nucléaire en l’incarnant par un monstre. Cette sortie du traumatisme a permis aussi d’effacer chez les Japonais le ressentiment vis à vis des Américains et de faire du Japon une grande puissance économique, technologique et culturelle.
Ce que les Japonais ont su faire avec l’atome, les Américains n’ont pas su le faire avec le 11 septembre. Aucun film, jeu vidéos ou comics n’est venu désacraliser la catastrophe pour canaliser dans les esprits et guèrir les âmes. Le résultat ça a été la montée du populisme et la victoire de Trump en 2016. La catharsis collective est un des outils de dépollution des esprits. Mais ce n’est pas le seul.
Un autre exemple de catharsis culturelle; c’est le cinéma de Hong Kong. Dans les années 80 l’industrie cinématographique de l’île a produit énormément de films d’action assez violents. La monstration de la violence a été un moyen d’éviter cette violence.
En Grande Bretagne, l’extrême droite a toujours fait de mauvais scores. Les raisons sont nombreuses. Mais parmi elles, il y la création d’une mythologie nationale. Et nous le devons à un auteur : Tolkien. Il a pris tout un tas d’éléments identitaires du peuple britannique et les a transfiguré dans une œuvre de fantasy. Il posait la première pierre d’un pan entier de la culture de l’imaginaire. Débarrasser le champ des idées des éléments identitaires ou clivants qui peuvent menacer la démocratie, autrement dit, déminer la société, peut se faire en transformant ces éléments clivants en jouets culturels. On les dépouille de leur valeur symbolique qui ne peut plus ensuite être réutilisée par les politiques.
Dans les années 80, dans les cours des écoles et des collèges, les enfants de classe sociale différentes se parlaient et ce grâce à Golorak, Albator, Tarzan, Star Wars ou les comics Marvel. La culture populaire permet de se parler avant tout quelque soit son origine sociale, ethnique, religieuse, son orientation sexuelle ou son genre. À condition évidemment qu’il y ait de l’empowerment derrière.
Car il existe dans la culture populaire aussi une culture de la victimisation. Cette culture qui en France est construite autour du rap et du roman noir et surfe sur les mécontentements et essaie de les canaliser vers une violence sociétale. C’est ce que l’on trouve aussi avec la dystopie. En présentant des futurs négatifs on engendre des attitudes de rejets et de combat vis à vis du futur considéré forcément comme violent et anti-social. On engendre des populismes à la fois sociaux et écologiques qui vont s’exprimer à travers la décroissance et l’effondrisme. Il faut justement engendrer une culture d’empowerment qui permette de tirer les individus vers le haut.
Il en va de même avec le nationalisme qui peut également gangréner la culture populaire et conduire à la haine de l’autre. On l’a vu avec l’Allemagne du début du 20éme siècle et on le voit encore avec la Russie contemporaine.
Cet empowerment a été mis en place à la fin des années 90 pour lutter contre l’influence de la culture gangsta chez les jeunes afro-américain. Il a fallu une mobilisation des classes moyennes supérieures noires qui ont pris conscience du danger de cette culture. Mais pas uniquement. À New York, le Brooklyn Superhero Supply, est association qui organise des ateliers de création de comics pour des jeunes des classes populaires animés parfois par des légendes de Marvel ou DC. Ce qui a d’ailleurs permis à certains des jeunes qui y sont passés de publier leur comics autopubliés, une fois adulte.
Mais la religion reste en occident une pollution majeure. On a beau jeu de critiquer l’Islam quand le christianisme prend le même chemin vers la radicalité. En fait on peut se demander d’ailleurs si les religions du livre ne sont pas un obstacle à l’évolution sociétale. Il y a en fait dans ces religions deux conceptions qui s’opposent. Une conception code morale et une conception spiritualité. Vatican 2 a essayé de transformer le catholicisme en spiritualité, mais aujourd’hui, la conception du christianisme comme code moral est en train de revenir de manière forte. Non seulement dans le catholicisme mais aussi dans le protestantisme avec la montée en puissance des mouvements évangéliques. Dans l’Islam il y a au moins le Soufisme qui est une conception spirituelle de la religion musulmane et qui existe depuis des siècles. Dans le christianisme, seuls les luthériens ont une vision qui essaye de concilier spiritualité et vie en société. Les religions du livre s’opposent donc aux religions orientales qui sont soit des spiritualités ( Bouddhisme, Taoïsme) ou des religions païennes ( Hindouisme, Shintoïsme) ou encore chamaniques ( chez des ethnies d’Asie centrale). Ces religions posent moins de problèmes. Pour la bonne raison qu’elles peuvent être utilisées comme objet de fiction sans déclencher des accusations de blasphème. La seule manière d’empêcher les religions du livre d’étouffer la société c’est de faire des religions des objets de fiction ce qui permet largement de les critiquer intelligemment.
Que faut-il faire pour faire de la culture un outil de dépollution sociétal ?
En Grande Bretagne dans les années 50, les travaillistes alors au pouvoir ont lancé un grand programme appelé écoles d’art. Il s’agissait d’utiliser l’éducation artistique pour permettre à des décrocheurs scolaires de se tirer vers le haut. Certains d’entre eux s’appelaient Lennon, McCartney, Bowie, Eno, Jagger et ont permis à leur musique de poser la première pierre du soft power britannique de la fin du 20éme siècle. Mais ce programme a permis aussi à des dessinateurs, des photographes, des metteurs en scènes, des graphistes et même quelques écrivains d’exister. Ce programme s’est arrêté avec Thatcher. Mais l’Ecosse l’a conservé ainsi que certaines villes.
L’appropriation de la culture par la création permet de bâtir quelque chose de nouveau. Les Britanniques l’ont fait en grande échelle mais dans d’autres pays l’initiation artistique fait partie des programmes scolaires, notamment en Europe du nord. Et la culture populaire n’est pas dévalorisée comme chez nous. Il faut une pratique artistique ainsi qu’une bonne éducation artistique sortant de la culture en place. Favoriser une appropriation.
Car seul le développement massif des créatifs culturels permettra de mettre en avant des propositions diversifiées. Tout ce qui permet l’épanouissement des créatifs culturels est bon à prendre.
Il y a aussi la nécessaire métropolisation des mentalités rurales. Une convergence entre les mentalités des urbains et des ruraux est nécessaire. Même si les différences entre les deux peuvent subsister, ces deux populations doivent avoir un socle culturel commun. Le rejet du progressisme dans les populations rurales s’exprime dans les urnes par les votes populistes. Et ce n’est pas en créant un cinéma d’art et d’essais dans une commune rurale ou en y ouvrant un centre d’art contemporain que l’on va changer les choses. La démocratisation de l’élitisme est un non sens. C’est par la création de la transition culturelle et le développement du modèle culturel des classes moyennes que l’on n’y arrivera. En Chine et en Corée du sud le développement du webnovel a permis à la jeunesse de se connecter à une culture populaire et ce qu’elle vive en ville ou au plus profond de la ruralité. Le web a donc un rôle à jouer dans ce processus au côté de solutions plus locales.
Il y a aussi les nécessaires brassages de populations. Accueillir des CSP¨+ en zone rurale est devenu quasi indispensable aujourd’hui. Même si de plus en plus de néo-ruraux viennent s’établir, il faut créer un climat de tolérance et d’ouverture. On se rend compte que dans les territoires où il y a eu de forts brassages de population, l’esprit de tolérance est présent. Toutes les villes qui ont accueilli des grands travaux pendant les trente glorieuses on vu passer dans leurs rues des gens venus des quatre coins de la France mais aussi des Italiens, des Espagnols et des Portugais. Et dans ces villes aujourd’hui règne un esprit de tolérance. D’autant que certaines ont accueilli aussi des néo-ruraux dans les années 70 et ont développé une économie du tourisme. Et tout cela contribue à créer l’esprit d’ouverture dont je parlais précédemment. C’est dans ces territoires que l’on va avoir le plus de créatifs culturels de toute la ruralité. Tout simplement parce que les brassages de population ont amené un esprit de tolérance.
C’est aussi le manque de brassage qui pose problème dans les banlieues. Il y a une spécificité française. L’absence de synchrétisme culturel. On le sent énormément dans le domaine musical, où le rap et notamment le gangstarap domine. Là où en Grande Bretagne les Jamaïcains de Londres ont créé une bonne douzaine de nouveaux genres musicaux en mélangeant le reggae avec n’importe quel autre. Et où aussi la communauté indo-pakistanaise a mélangé sa propre musique avec l’électro pour donner le banghra. La même chose s’est produite avec les jeunes de la communauté turque en Allemagne. Depuis les années 2000 les minorités ont leur propre underground aux USA. En France tout artiste racisé qui fait autre chose que du rap ou du r’nb est invisibilisé. Donc on ne peut faire autre chose que de la musique rouge ou bleue régressive quand on est dans les banlieues. Pas d’ouverture sur l’orange ou encore mieux le vert.
À Medellin gangrenée par les cartels, outre le travail sur les infra-structures de transport, la municipalité a développé des bibliothèques et des lieux culturels dans les barrios. Ce qui a permis de couper le soutien des populations aux cartels. On le voit encore, la culture est aussi un moyen de lutte contre les violences. Quand on donne un culture adaptée aux classes populaires ils peuvent évoluer et rejeter les violences et les populismes.
On le voit avec l’élection de Trump, les failles de la transition culturelle peuvent conduire à un développement du populisme. C’est pour cela qu’il faut développer un maximum des solutions culturelles pour rapprocher les uns des autres. Tant que nous ne l’aurons pas fait, la démocratie vivra avec l’épée de Damoclès du retour du facisme. Mettre en place des catharsis culturelles, metttre le plus possible d’éléments clivants en mythologie, créer des brassages sociaux pour faire émerger une classe créative dans les territoires où elle est absente. Autant de chantiers à mettre en place pour lutter contre la pollution des mentalités.