Note du 6 mars au soir :
Il faut creuser la question de l’idéologie poutinienne. Le poutinisme est un continent idéologique peu exploré et c’est la raison pour laquelle nous ne comprenons pas ce qui se passe (sans parler de notre ignorance de la géopolitique américaine). En creusant cela, on s’aperçoit que ce sont plutôt des motifs bleus-absolutistes (au sens de la spirale dynamique) qui motivent Poutine: traditionalisme, religion orthodoxe, eurasisme, restauration de l’empire, rejet d’une certaine décadence occidentale (LGBTQ+, etc), défense des valeurs morales. Poutine est le genre d’homme qui peut dire: « Nous défendrons les valeurs traditionnelles, fondations spirituelles et morales de la civilisation : la famille traditionnelle, la vraie vie humaine y compris religieuse. »
Quel lien entre ce traditionalisme et l’invasion de l’Ukraine? L’idée, véhiculée par les cercles monarchistes russes, que les soviétiques ont amputé la Russie et qu’il s’agit de retrouver la Russie impériale pré-soviétique en retrouvant ses territoires perdus par le démembrement soviétique, à commencer par l’Ukraine. ( Voir à ce sujet: https://russiamatters.org/analysis/decoding-putins-speeches-three-ideological-lines-russias-military-intervention-ukraine) En ce sens, ce n’est pas l’URSS que cherche à reconstituer Poutine mais bien plutôt l’empire tsariste. L’Ukraine est pour lui la Novorossiya, un terme qui remonte à l’ère tsariste de la Russie signifiant littéralement « nouvelle Russie ». Le mot fait référence à une grande partie de l’Ukraine que l’empire russe a conquise à la fin du XVIIIe siècle.
En ce qui concerne la dimension psychologique, je discerne chez Poutine une blessure d’humiliation. (Voir à ce sujet: https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/nous-avons-ete-humilies-le-discours-du-kremlin-sur-les-annees-1990-et-la-crise-russo-ukrainienne-904771.html ) Rien à voir avec la propagande pro-américaine qui décrit Poutine comme un psychopathe, un fou, un malade… Toutefois les blessures d’humiliation sont les plus dangereuses (le nazisme est né d’une blessure d’humiliation). Du moins, chez Poutine elle nourrit une volonté de puissance revancharde contre l’Atlantocratie, avec des légitimations religieuses de type anti-décadence occidentale.
Ce traditionalisme et cette volonté de puissance trouvent dans l’eurasisme leur traduction géopolitique. Un eurasisme toutefois beaucoup plus moderne et libéral que celui d’un Douguine, lequel n’est peut-être pas si influent auprès du maître du Kremlin que certains médias ont voulu nous le faire croire (voir: https://providencemag.com/2019/07/west-overestimates-aleksandr-dugins-influence-russia/ ).
Car il y a tout de même une composante Orange-moderniste dans le poutinisme, axée sur la science et la technologie, et qui transparaît dans l’armement militaire. Du point de vue de la spirale dynamique, nous sommes donc dans la zone de transition du bleu au orange, là où les deux couleurs se mêlent dans des équilibres combinatoires paradoxaux. Rien de contradictoire cependant: les deux composantes, tradition et modernité, servent une seule et même volonté de puissance, qui entend rivaliser avec la volonté de puissance américaine pour changer l’ordre international unipolaire.
Nos positions morales d’occidentaux sur la guerre sont un système de légitimation de nos intérets de domination. Notre puissance s’est fondée sur la violence comme toute puissance hégémonique. Ensuite nous appelons cela paix, morale… Mais les Etats-Unis se sont fondés sur le génocide amérindien et la force militaire, la puissance occidentale sur l’esclavage, le pillage du sud et la colonisation. Relire à ce sujet Le Principe de Lucifer, de Bloom, qui fonde mon réalisme évolutionnaire en matière d’analyse géopolitique. Seul un ordre multipolaire permettrait, à mon sens, de réduire la part de violence dans l’expression de la volonté de puissance des peuples.
Pour aller plus loin :
L’idée de tradition au cœur de la politique du régime russe contemporain : un « conservatisme dynamique » ?
Le milliardaire russe exécutant la volonté de Poutine à travers l’Europe : https://thinkprogress.org/putins-man-in-europe-a4fe6bb48d76/
Le conservatisme russe : une longue tradition :
Dossier : La Russie contemporaine et l’Occident – Aux sources du poutinisme : https://laviedesidees.fr/Aux-sources-du-poutinisme.html
« ces considérations psychologisantes fleurant bon la propagande poutinienne m’ont tout à fait édifiée. »
Mdr, ne dites pas n’importe quoi.