Fabien Locher, chercheur au CNRS : « la tragédie des communs était un mythe »

Fabien Locher démonte dans un article édifiant l’absurdité de penser que l’économie des communs ne peut fonctionner. 

L’évidence démontrée

La meilleure démocratie n’est pas de consulter le peuple sur des choses qu’il ne comprend pas forcément ou que partiellement et dont il n’appréhende pas réellement les conséquences, mais de faire appel à sa nature auto-organisatrice dont est issue notre société actuelle. Agissant ensemble, unifié, le peuple, conscient de ses limites, met en place ce qu’il faut pour les outrepasser et veiller à ses intérêts.

L’humain est grégaire et à ce titre est systématiquement capable de s’auto-organiser en fonction de la ressource disponible, à condition qu’on le laisse faire. Dans bien des organisations de gestion de communs il y a des ratés qui mènent invariablement à la fameuse tragédie. Ca ne rend pas les communs impossibles ni non souhaitables, mais qu’il faut être conscient de ce risque afin de rendre les communs souhaitables.

L’eau potable en régie ou privée ? 

L’exemple type que je prends est celui de l’eau potable. La plupart des communes qui reprennent en régie la gestion de l’eau, après le premier problème, coupure de l’approvisionnement ou intoxication de la population pour une raison ou une autre, remettent à nouveau la gestion à un service privé, bien plus compétent qu’une collectivité qui n’a tout simplement pas la capacité d’effectuer les analyses nécessaires. Sans compter que ça précise la responsabilité en cas de problème. Par une gestion communale, qui est responsable ? Et donc il vaut bien mieux avoir le privé qui gère l’eau que la commune. C’est le cas dans ma commune, qui a géré l’eau durant des décennies et qui l’a remise entre les mains de Veolia il y a quelques années. La différence est simple à comprendre : aujourd’hui l’eau est buvable et même bonne à boire. Alors qu’avant c’était une espèce de bouillaque immonde. La collectivité n’était tout simplement pas capable d’assumer ce service.

Bien des gens croient que Veolia nous vend un produit gratuit, je le lis systématiquement quand on traite d’un sujet autour de l’eau. C’est ce qui incite la population à opter pour une gestion locale et démocratique de l’eau. Or c’est bien évidemment faux. Il faut plusieurs analyses par semaine, nettoyer l’eau, la traiter, entretenir les infrastructures, surveiller leur état en permanence par des moyens les plus complexes possibles pour être aussi précis que possible. Chaque mètre cube représentant au final environ 4kW d’énergie en plus du travail des agents. Toute chose impossible en régie, incapable de réunir tant les compétences que les moyens. Et donc des problèmes se produisent. Ca fait que toutes les municipalités dont l’eau est gérée par le privé depuis longtemps rêvent d’une gestion municipale… et toutes les communes qui gèrent elles-mêmes leur eau finiront pas la confier au secteur privé (je ne parle pas d’épiphénomènes absurdes comme Vittel où la source a été vendue à Nestlé et la population doit acheter son eau ailleurs).

Le problème n’est pas la collectivité, mais la limite de portée de ses compétences

Mais le problème ne provient en fait pas de la collectivité. C’est juste qu’en tant qu’entité isolée, on ne la laisse pas faire dans sa gestion des communs qui doit être globale. Les pâtures dont parle l’article sont un commun global, elles n’appartiennent pas à une municipalité, mais à un territoire, elles peuvent concerner un certain nombre de collectivités et de paysans qui ne connaissent pas tous les mêmes difficultés, certains habitant en altitude, d’autres en plaine, certains au Sud de la montagne où il y a la pâture, d’autres au Nord, plus froid. Mais le système est globalisé entre tous, on les laisse faire. Les règles, ce sont eux qui les édictent en s’organisant en syndicat.

Si la gestion de l’eau était organisée en communs à l’échelle nationale, que les collectivités soient libres d’exercer, elles s’organiseraient en syndicat qui se donnerait les moyens de réaliser les tâches qui incombent à l’acteur privé aujourd’hui.

EDIT de 2023 : ma communauté de communes à créé une entité pour gérer l’eau en se donnant les moyens pour en garantir la qualité, en partenariat avec Veolia. Désormais la distribution de l’eau est démocratique, elle est devenue un commun géré par la collectivité. Un bel exemple qui démontre la pertinence de mon propos à l’époque. 

Un seul mot : démocratie !

En un mot comme en cent, on en revient toujours à la même chose : le futur de l’économie, c’est la démocratie ! C’est par l’économie que la démocratie doit s’exercer et c’est par la démocratie que l’économie doit fonctionner. C’est l’économie de marché, le capitalisme parfait, par opposition au capitalisme imparfait d’aujourd’hui avec un pouvoir oligarchique central qui détient le contrôle du marché qui du coup ne s’autorégule pas puisqu’il ne dépend pas de l’ensemble de ses acteurs, mais des décisions des élites.

De facto, nous ne sommes pas dans une économie capitaliste telle que ses théoriciens (Adam Smith, David Ricardo, Frédéric Bastiat, Thomas Paine, etc… ) l’ont décrite, mais bien dans une sorte de féodalisme privé où l’Etat est l’émanation du peuple et sous contrôle des puissants. Les Communs mettraient fin à cet état de fait et induiraient une économie beaucoup plus riche, plus vaste, plus puissante, plus démocratique… et plus propre ! Parce que l’écologie fait naturellement partie des décisions de la masse lorsqu’elle a le choix. Mais pour que cela marche, il faut accepter l’idée que dans la gestion des communs, chacun considère son accès à ce bien commun comme son capital et agit donc en capitaliste s’il est laissé à lui-même.

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Auteur/autrice : Thierry Curty

Designer sociétal, inventeur d’un concept intégral économique, écologique et sociétal, co-fondateur de Courant Constructif, auteur, Fervent contemplateur de l’Humanité. De convictions profondes et à l’esprit libre. Passionné d’Économie, de Sociologie, d’Écologie, dans une vision holistique, l’épistémologie est le moteur de ma réflexion, source de ma conviction. Je soutiens la transition sociétale, inéluctable à terme, préalable incontournable des grandes transitions, écologique, énergétique, agrobiologique, qui en sont ses corollaires, et tente de l’expliquer et la dédramatiser, de faire passer le message que loin d’être une fin elle est un nouveau commencement, une solution aux problèmes que nous rencontrons aujourd’hui. Inéluctable, mais aussi nécessaire et souhaitable, confortable pour tous.

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