Pour une éducation intégrale

La crise systémique de la civilisation moderne a provoqué ces soixante dernières années une grande vague d’innovations théoriques et pratiques dans tous les secteurs, visant à refonder notre modèle civilisationnel. Dans le champ de l’éducation, nous avons vu émerger une multitude de courants pédagogiques : Montessori, Freinet, Decroly, Dewey, Coussinet, écoles dynamiques, démocratiques, créatives, coopératives, en pleine nature, pédagogie inversée, différenciée, explicite, institutionnelle, positive, immersive, de projet… La prospective de l’éducation se doit de faire état de ces différents courants de pensée qui sont en train, progressivement, de faire émerger un nouveau paradigme pédagogique pour le XXIe siècle. Il s’agira de dégager les grandes lignes directrices de ce nouveau modèle: quelles tendances se dégagent relativement au but de l’éducation, à la conception de la personne humaine, aux modes d’apprentissage, au contenu de l’enseignement et aux modes d’évaluation.

Parmi toutes ces innovations, l’éducation intégrale se démarque par sa capacité à intégrer ces différents apports en un modèle synthétique cohérent. Nourrie d’apports indiens (Aurobindo), chrétiens (Maritain) et américains (approche intégrale), l’éducation intégrale cherche à prendre en compte l’humain dans toutes ses dimensions : physique, émotionnelle, mentale et spirituelle. Elle n’est pas exclusivement orientée vers un but professionnel mais vise la formation d’un être humain intégral capable d’exceller dans tous les domaines de vie : professionnel, mais aussi social, physique, créatif, spirituel, culturel et citoyen.

Mais si l’être humain est multidimensionnel, la configuration individuelle de cette multidimensionnalité en lui se fait toujours sous une forme singulière. L’éducation du futur ne doit donc pas seulement se contenter d’être multidimensionnelle, elle doit aussi être personnalisée. Personnalisée en fonction du profil d’intelligence de l’individu, de ses motivations, de ses talents, de sa vocation. Ainsi la reconnaissance des intelligences multiples, après avoir ouvert considérablement le champ de l’éducation, nous conduit à un resserrement fin, au plus près de la personne humaine et de son génie singulier. L’éducation devient alors intégrale au sens où elle permet à l’individu d’intégrer sa singularité et de déployer l’intégralité de son potentiel singulier.

Le développement intégral de la personne est aussi la meilleure réponse à apporter face à la vague d’automatisation en cours dans le secteur de l’emploi. En effet, l’éducation doit à présent creuser l’avantage concurrentiel de l’humain sur la machine, qui réside précisément dans sa complexité multidimensionnelle. La machine va se substituer au travailleur aliéné, mais elle ne saurait se substituer au génie. Le robot pourra remplacer un travail, jamais une vocation. L’Intelligence Artificielle pourra effectuer des tâches répétitives qui relèvent des fonctions mentales, mais pas celles qui sollicitent l’intégralité de l’intelligence humaine dans toute sa complexité à la fois intellectuelle, émotionnelle, créative, éthique, spirituelle et sociale. Construire une éducation qui permet un développement intégral de la personne, c’est en ce sens la meilleure manière de préparer l’individu au monde de demain, où toutes les tâches unidimensionnelles auront été déléguées à la machine et où les hommes devront apporter des contributions complexes dans des écosystèmes d’intelligence collective.

Un point toutefois mérite d’être précisé : le fait de développer les autres dimensions de la personne humaine ne doit pas correspondre à un affaiblissement de l’éducation mentale héritée des Lumières, sans quoi nous produirions une régression prémoderne plutôt qu’une évolution post-moderne. Ainsi, le fait de développer l’intelligence émotionnelle et spirituelle ne doit pas s’accompagner d’un désinvestissement de la dimension intellectuelle, scientifique et rationnelle. La rationalité est une conquête culturelle qui tend à disparaître sitôt qu’elle n’est plus transmise. En outre, l’accessibilité immédiate de la connaissance que rendent possible les technologies de l’information ne doit pas nous faire oublier la nécessité d’une culture générale solide basée sur la mémorisation. Méfions-nous de ce qu’une exosomatisation de la connaissance ne produise pas des esprits incultes prolétarisés. C’est pourquoi, aux innovations pédagogiques oppositionnelles des années 1960 doit maintenant se substituer une logique d’équilibre capable d’intégrer le meilleur de l’éducation traditionnelle, moderne et postmoderne en un tout cohérent. Toute approche intégrale nécessite la recherche d’un tel équilibre entre les différentes parties coordonnées. Après une phase de percée paradigmatique doit venir une phase d’intégration et de rééquilibrage correspondant au stade de la maturité.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *