L’économie « partagée » n’est pas -encore- positive (ni partagée, d’ailleurs) !

L’Iddri produit une étude dans laquelle il démontre que l’économie partagée ne produit pas les effets escomptés, nous dit Les Echos.

C’est normal, il manque un pan à cette économie partagée, c’est la démocratie (et aussi le respect de l’humain).

Jusqu’à présent, à l’instar de Matthew Yglesias sur Slate.fr, je n’ai vu personnellement aucune différence concrète avec l’économie traditionnelle, des clients adhèrent à des services qu’ils consomment, point!

Ce qu’il faut, c’est que l’économie partagée soit…partagée!

On nous présente toujours les sites de co-voiturage comme étant un superbe exemple d’économie partagée. En quoi ? Ce sont des particuliers qui vendent des places dans leur voiture et une plateforme ponctionne sa part. Mais, structurellement, le concept est toujours systématiquement l’initiative purement privée d’un entrepreneur ou d’un groupe d’entrepreneurs, sur laquelle personne n’a rien eu à dire et qui a été financée par tous les moyens disponibles à ce moment-là. Le fait de partager sa voiture n’a rien d’une économie partagée. Ce qui fait l’économie partagée, c’est le contributisme. C’est-à-dire qu’on cesse avec la loi de l’offre et que c’est le public qui décide lui-même de ce dont il a besoin pour exister et qui, en le finançant, contribue à son avènement avec des retombées pour lui qui l’enrichissent ou améliorent sa qualité de vie.

Jusque-là, rien de tout ça…

Même dans le crowdfunding/crowdlending ou le crowdinvesting, il ne s’agit toujours pas d’économie partagée. Outre le fait que dans ces fonctions la démocratie se limite à ceux qui en ont les moyens. Ne serait-ce que vingt euros, les plus pauvres ne les ont pas et ne pourront donc pas contribuer à l’émergence d’un projet et donc ne jouiront pas de la démocratie, ce qui revient à littéralement la monnayer, seuls ceux qui ont les moyens peuvent donner leur avis et plus on est riche et plus on peut. De surcroît, soit les projets sont rarement économiques dans le crowdsourcing (ce n’est pas en tournant des films dont le seul bénéfice sera celui d’être tourné qu’on va produire du développement sociétal et ce n’est pas de financer un tour du monde à pédalo ou en moonwalk pour dénoncer le massacre des bébés phoques ou la fonte des glaces qui va créer de la richesse), soit ils sont purement économiques dans le crowdinvesting et l’objectif exclusivement mercantile annihile le basculement dans l’économie durable qui inclut invariablement un paramètre équitable.

Le développement durable, donc les transitions énergétiques, écologiques, agricoles, doivent être une conséquence de l’organisation de la société et non pas une cause à défendre. C’est l’organisation de la société pour y parvenir qui est la cause, pas le but à atteindre qui lui est exposé au flou de la définition du terme. En vérité, pour que l’économie soit partagée, il faut qu’elle soit contributive et donc démocratique, ce qui signifie que le public doit avoir le contrôle de la structure qui lui donne accès à ce nouveau système contributif, il doit le posséder, le diriger et l’exploiter à son avantage sans influence extérieure.

Über, Airbnb, Ouishare, Ouicar, la Ruche qui dit oui, Deliveroo, etc…etc… NE SONT PAS des instruments de l’économie collaborative. Bien au contraire, ce sont des éléments du capitalisme néolibéral le plus cru qui vont même au-delà de tout ce qui a été permis aujourd’hui puisque ces entreprises vendent ce qui appartient à leurs clients, qui ne sont pas les utilisateurs du service, mais bien ceux qui travaillent pour eux et exploitent la plate-forme. Quand vous commandez à manger via Über eats ou Deliveroo, vous êtes client de celui qui vous livre, qui lui est client de la plateforme qui le surexploite pour un salaire de misère en raison d’un tarif sur lequel il n’a aucun pouvoir. Si la plate-forme veut le sanctionner ou décide d’une promo sur les tarifs, le livreur applique, sous peine d’être banni, point. Et en particulier pour les chauffeurs de VTC ou livreurs de tout poil, les procès se cumulent et ces plateformes sont systématiquement condamnées pour leur traitement comme des esclaves de ces pauvres gens, profitant de leur situation pour les exploiter, le tribunal considérant cela comme du travail dissimulé.

En gros, le client de l’entreprise met à disposition de l’entreprise son bien, sous sa responsabilité et sous diverses garanties qu’il assume lui-même, l’entreprise encaisse la somme et verse une commission au client pour la mise à disposition de son bien. En quoi est-ce de l’économie collaborative ?Dans une économie collaborative, la société appartient à ceux qui utilisent le service, aussi bien les propriétaires du bien que les utilisateurs de ce bien. Là, il ne s’agit que de « collabwashing », sous prétexte de « socialwashing » et de « greenwashing ».

Dans l’économie collaborative, les utilisateurs sont propriétaires de l’outil qu’ils utilisent, c’est la première des règles. Le fait de partager sa voiture avec d’autres ne relève pas de l’économie collaborative, pas plus que les friperies, par exemple, qui font pareil depuis des siècles. L’économie collaborative ce sont des utilisateurs qui se mettent ensemble, évidemment à l’initiative de quelqu’un, pour créer un outil dont ils besoin et dont ils seront ensuite clients. Non seulement ça fonctionne comme dans la video, mais en plus ils recoivent une part de dividendes sur la société à laquelle ils contribuent à la gestion via l’Assemblée Générale. Et ce concept d’économie collaborative n’est pas encore bien intégré, même par ceux qui s’en disent spécialistes au point d’en réaliser une video.

Il ne faut pas s’y tromper, ce que nous voyons dans cette video n’a rien de nouveau. Le co-voiturage a toujours existé, on pouvait acheter des places dans la calèche de quelqu’un pour se déplacer. Ceux qui en possédaient, plutôt que la calèche voyage à vide pour de grands déplacements, vendaient le voyage à quelqu’un. J’ai pris l’exemple de la friperie, mais on pourrait aussi prendre celui de la brocante, qui consistait à l’origine à mettre à disposition un objet dont on ne voulait plus chez un vendeur pour en acheter un autre. De même, toutes ces jolies maisons que nous voyons partout dans les campagnes, certaines plus proches du château que de la maison, étaient des « refuges de chasse », que l’on se prêtait mutuellement.

Ce qui est nouveau avec l’économie collaborative, c’est qu’on décide ensemble de ce que l’on va construire et on le finance ensemble, ainsi tout le monde devient ce que j’appelle un « microcapitaliste ». Et la différence est de taille, parce qu’elle induit la notion essentielle, qui ne figure à aucun moment dans la video est qui est pourtant la principale caractéristique de l’économie collaborative, c’est l’intelligence collective. L’économie collaborative repose sur l’intelligence collective, qui impose donc la démocratie. Dans la video, où se trouve l’intelligence et où se trouve la démocratie? On a juste des entreprises qui proposent un service et des clients qui les rémunèrent pour ça.

On voit l’exemple de la montre financée par Kickstarter, je peux concevoir que ça semble extraordinaire pour un français, mais en Suisse ou aux Etats-Unis, on a toujours pu voir des gens distribuer des flyers à la gare pour se financer, bien avant Internet. On peut trouver des petites annonces sur les panneaux d’affichage de supermarchés ou des flyers dans le magasin, genre : « je cherche à financer ma boucherie/boulangerie/etc… ». Et j’ai personnellement acquis une montre suisse magnifique qui avait été fabriquée pour les carabiniers en Italie sur commande, pour le quart du prix, il y a 30 ans. Vous voyez une différence avec Kickstarter? …Pas moi! Que vous achetiez une part d’un objet sur Kickstarter ou via un flyer, ça ne change pas grand-chose. Donc, ce n’est pas de l’économie collaborative.

Ce n’est donc pas l’économie de demain, la bulle va se dégonfler lorsque la population apprendra à faire la différence entre l’économie collaborative et les instruments de capitalisme néolibéral que sont ces organismes. Qui, d’ailleurs, sont déjà menacés, parce qu’ils ont tous une caractéristique essentielle : ils sont illégaux ! La Ruche qui dit oui : les abeilles sont des salariés embauchés à temps partiel en tant qu’autoentrepreneurs, l’entreprise ne paie pas leurs charges et le travail réalisé par les abeilles ne leur permet d’ailleurs pas de gagner leur croûte et ce quand bien même l’entreprise gagne la même chose que les abeilles…sauf qu’elle le gagne autant de fois qu’il y a de ruches. C’est bien évidemment illégal et ça va aller jusqu’à ce qu’on daigne enfin se pencher sur ce cas. Que l’entreprise prenne 10% de commission pour se rémunérer est normal, mais qu’elle gagne ce que les abeilles ne gagnent pas c’est de l’exploitation de la faiblesse. Et le fait que ce soit soi-disant un acteur du changement en vendant des produits plus ou moins bio n’y change rien.

Über? Ben on l’a vu, même en Californie, où ils ne sont pourtant pas réputés douillets avec les droits du salarié, l’entreprise a été condamnée. Finalement interdit en Allemagne, en France ça ne vaut guère mieux, les chauffeurs étant considérés comme travaillant au black…

Aibnb? Condamnés à New York, Paris, Londres, tout simplement parce que de louer son appartement est un changement d’affectation qui induit une modification de la taxation. Chaque ville a des impératifs sociétaux, les logements doivent servir à l’habitation, pas au tourisme. On ne loue aux touristes que des logements qui ont été créés pour cela, qui ont obtenu une autorisation légale conformément à des quotas. Si l’offre de logements touristiques ne suffit pas, le touriste va à l’hôtel, mais c’est l’habitation qui prime, évidemment. Alors, on pourrait se dire, dans un esprit libéral que la moindre des choses est qu’on fait encore ce qu’on veut avec notre bien. Mais là on peut répondre : oui, à condition de payer les taxes afférentes. Et pour payer les taxes, il faut avoir obtenu l’autorisation de la vielle de convertir son logement d’habitation en logement touristique, ainsi que de la co-pro quand il y a lieu, bien sûr.

Donc, attention avec l’économie collaborative. La Cantine, à Toulouse, c’est de l’économie collaborative. Des gens ont fondé ensemble une société qui sert de support aux activités de chacun. Ils sont propriétaires de l’entreprise, co-responsables de ses infrastructures et, surtout, co-responsables les uns envers les autres des conditions d’exercice de leur travail des uns et des autres, ils COLLABORENT.

L’économie collaborative, c’est de l’intelligence collective et selon Peter Senge, l’intelligence collective se construit dans l’action partagée. Raison pour laquelle j’ai inventé le concept économique de l’AMI…le seul et unique concept intégralement d’économie contributive à échelle macro-sociétale aujourd’hui (il y en a d’autres, les Fab labs, les ruches coopératives, etc… mais, une fois de plus, ça ne concerne qu’une fraction du public qui y pratique des activités. Eh puis, il faut les financer tous ces organismes, et ça, ce sera le rôle de l’AMI).

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Auteur/autrice : Thierry Curty

Designer sociétal, inventeur d’un concept intégral économique, écologique et sociétal, co-fondateur de Courant Constructif, auteur, Fervent contemplateur de l’Humanité. De convictions profondes et à l’esprit libre. Passionné d’Économie, de Sociologie, d’Écologie, dans une vision holistique, l’épistémologie est le moteur de ma réflexion, source de ma conviction. Je soutiens la transition sociétale, inéluctable à terme, préalable incontournable des grandes transitions, écologique, énergétique, agrobiologique, qui en sont ses corollaires, et tente de l’expliquer et la dédramatiser, de faire passer le message que loin d’être une fin elle est un nouveau commencement, une solution aux problèmes que nous rencontrons aujourd’hui. Inéluctable, mais aussi nécessaire et souhaitable, confortable pour tous.

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