Le Courant Constructif s’engage dans la lutte contre le complotisme et les fake news

Crédit: Pexels / libre de droit

Qualifiée d’infodémie par l’ONU et l’OMS, la vague de complotisme que le monde a connu durant la pandémie de Covid-19 mérite l’attention du monde intellectuel. Si cette infodémie est un phénomène inédit dans l’histoire, le complotisme qui en fait la substance n’a, lui, rien de nouveau. Depuis plusieurs années la dérégulation de l’information rendue possible par Internet a vu le nombre et la propagation des théories conspirationnistes s’amplifier. Les GAFAs s’efforcent maintenant de traiter cette nouvelle pathologie de la valorisation qui pousse le monde dans une spirale de négativité, alimentant haines, colères, peurs et violences. Mais face à ce nouvel obscurantisme 2.0, ne doit-on pas penser la nécessité d’un nouveau combat pour la raison ? Réflexion pour le monde d’après l’infodémie.

1/ La banalisation du complotisme

Le complotisme a cessé d’être un phénomène marginal. Selon une enquête européenne menée par l’institut YouGov en 2018, les théories du complot sont en passe de devenir des « croyances dominantes dans plusieurs pays occidentaux ». De même, d’après un sondage du Centre russe d’étude de l’opinion publique (VTsIOM), 67% des Russes croient en l’existence d’un gouvernement secret mondial. Une autre enquête d’opinion menée par l’ONG Globsec dans les pays d’Europe centrale révèle qu’un quart des sondés est d’accord avec plusieurs théories du complot. La théorie du complot juif mondial emporte notamment une forte adhésion, (38% en Hongrie, 39% en Pologne et 52% en Slovaquie).

En France, un sondage conduit par l’IFOP en 2019 a révélé que 21% des français adhèrent à au moins 5 théories du complot sur une dizaine proposée, tandis que 65% adhèrent à au moins l’une d’entre elles.

 

2/ L’infodémie révèle un effondrement de la rationalité

Le degré de pénétration du complotisme dans la population a été particulièrement manifeste durant la pandémie de Covid-19. Chacun a pu percevoir une augmentation inhabituelle du nombre de publications complotistes sur les réseaux. Et pour cause:  une enquête de l’IFOP a montré que 26% des français pensent que le Covid-19 est provoqué par un virus fabriqué en laboratoire. Une enquête similaire américaine a révélé que cette croyance était également partagée par 29% des américains. Une autre étude menée par l’Université d’Oxford montre que 60% des anglais croient, à différents degrés, que l’état les trompe sur les origines du virus. Toujours d’après cette étude, 40% des anglais pensent, à différents degrés, que la propagation du virus est une tentative délibérée des puissants pour accroître leur pouvoir ; et  20% croient, à différents degrés, que le virus relève du canular.

Statistiques issues de l’étude menée par l’Université d’Oxford publiée dans le journal Psychological Medecine
 

Parmi les théories conspirationnistes qui se sont fortement répandues durant cette période d’infodémie, on trouve l’idée selon laquelle les futurs vaccins du Covid-19 contiendraient une puce électronique qui permettra de marquer, de géolocaliser et de contrôler la population. Cette théorie du contrôle de la population par puçage de l’humanité est en réalité une vieille théorie du complot. Je me souviens qu’à l’époque où j’étais en sciences politiques, vers 2008-2009, j’étais déjà tombé dessus en surfant sur Internet. Jamais alors je n’aurais imaginé qu’une telle théorie puisse contaminer une aussi large part de la population.

Cette théorie n’est pas apparue avec la pandémie. Elle a seulement trouvé là une occasion de se répandre plus largement. Elle a su gagner en puissance dans un contexte où la peur avait fait céder le niveau de rationalité de la population.

A présent les gens commencent à retrouver leurs esprits. Ceux-là même qui, il y a quelques semaines, croyaient lutter pour le « monde libre » ont maintenant l’impression de se réveiller d’une sorte d’envoûtement paranoïaque. C’est le moment de faire de la pédagogie pour prévenir les prochaines vagues de complotisme. Car nous n’avons pas fini de vivre des chocs collectifs déstabilisants. Et c’est précisément dans ces moments-là que nous devons apprendre à garder la tête froide si nous ne voulons pas servir de relai à la folie populiste et nous faire emporter dans des dynamiques de bouc émissaire.

3/ Le Courant Constructif s’engage dans la lutte contre le complotisme

Le Courant Constructif a été exemplaire en cette période troublée avec, notamment, la création d’une section de Fact checking sur lmc.today et la publication d’un article sur les activités constructives de Bill Gates au coeur de l’infodémie, alors que ce dernier cristallisait toutes les haines du moment. Nous avons également eu à repousser une vague d’antivax venus polémiquer sur le vaccin du Covid-19. Thierry Curty, co-président du Courant Constructif, engagé dans le combat contre les antivax depuis plus de dix ans, s’est fait un plaisir de les accueillir fermement avec le secrétaire de notre mouvement, John Maison.

Si j’ai perdu quelques amis dans cette tempête, je suis fier d’appartenir à un mouvement dont aucun des membres n’a flanché pendant l’infodémie. Tous se sont battus vaillamment contre ce nouvel obscurantisme 2.0. Nous avons su garder notre espace constructif indemne de toutes dérives, au moment où les réseaux étaient littéralement saturés de fake news. Et nous continuerons en ce sens.

L’humanité est encore très naïve vis-à-vis de cette nouvelle technologie qu’est Internet. Je crois en la possibilité, pour une part des internautes, d’acquérir au fil des années plus de maturité vis-à-vis des productions qui circulent sur le web. L’école a très certainement un rôle à jouer dans l’apprentissage de pratiques informationnelles saines et la prévention vis-à-vis des fake news.

En attendant d’avoir ce recul de l’expérience, jugeons de la valeur des théories du complot actuelles à la lumière des théories du complot du passé. Les rumeurs, charlataneries, superstitions et dynamiques de bouc émissaire sont vieilles comme le monde. Internet n’a fait qu’amplifier leur propagation. Le recul temporel permet une distanciation émotionnelle qui garantit une plus grande objectivité dans le jugement. Ce n’est pas un complot particulier qu’il nous faut debunker, c’est la mentalité générale qui est derrière toutes les théories du complot passées, présentes et futures.

Le combat continue. Il rejoint nos autres combats, contre les pathologies de la valorisation, contre les forces montantes de l’anti-modernisme, du déclinisme et du populisme.  Dans ce combat comme dans les autres,  tout dépend de ce que nous ferons de notre pouvoir de valorisation. Plus les articles de fact checking seront partagés, plus la vague d’obscurantisme reculera. Soyons au moins aussi motivés et présents que les complotistes sur le terrain.

4/ Penser l’infodémie:

Le Courant Constructif appelle à une prise de conscience de la gravité de la situation. Il est sans conteste que le complotisme nourrit la montée des populismes dans le monde et a contribué à l’avènement des présidents les plus catastrophiques pour notre avenir collectif. Il est à noter que les études montrent une surreprésentation des complotistes à l’extrême droite. Plus largement nous dirons que l’omniprésence des théories du complot finit par créer un contexte culturel défavorable au progrès, à l’innovation, à la culture et à  la science. Le complotisme est en effet marqué par un rejet systématique des apports de la modernité (vaccins, science, technique, médias professionnels) et une diabolisation néfaste de l’innovation technologique (5G, IA, Linky…).  Notre réflexion sur les conditions culturelles de l’innovation nous porte à considérer que le complotisme participe, avec l’idéologie collapso-décroissante, le new age et le discours réactionnaire ambiant, d’une destruction du substrat culturel qui favorise la vitalité technologique, scientifique et économique d’un pays.

5/ Réinvestir la raison

Les scientifiques, les experts, les intellectuels, les personnes jouissant d’un haut niveau d’éducation et de rationalité doivent prendre conscience de leur responsabilité dans l’éclairage des débats publics envahis par les complotistes. Plutôt que de fuir dans un entre-soi confortable en laissant les conspirationnistes former l’opinion des masses et de la jeunesse, nous devons maintenir la lumière allumée là où elle tend à disparaître, en diffusant des opinions expertes et en contrant autant que possible les théories du complot sur le terrain. Le phénomène infodémique que nous avons vécu appelle une réaction du monde intellectuel. Certains penseurs comme Gérald Bronner, ont depuis plusieurs années alerté sur la montée de l’irrationalité sur Internet. Soyons conscient que la rationalité n’est jamais acquise et que lorsqu’elle n’est plus valorisée, elle tend à disparaître à nouveau. Des décennies de déconstruction de l’héritage rationaliste occidental ont fini par créer les conditions d’une production en masse de citoyens irrationnels qui menacent à présent nos démocraties. La critique de la raison est un luxe que ne peuvent se permettre que les civilisations ayant atteint un fort niveau de rationalité.  Car la rationalité n’est pas innée en l’homme, elle est une conquête culturelle de l’humanité. C’est pourquoi elle doit sans cesse continuer d’être transmise pour ne pas disparaître.

6/L’issue évolutive

Mais lutter contre cette vague régressive ne suffira pas à l’endiguer. Il faut, de manière complémentaire, ouvrir une nouvelle voie, car on ne saurait nier par ailleurs que le système de la Modernité est parvenu à son terme et que la colère et l’insatisfaction qu’il suscite sont légitimes. Si nous voulons éviter la Grande Régression qui se prépare, il nous faut plus que jamais constituer une force de proposition capable de canaliser les attentes et l’insatisfaction vers une issue non-régressive. C’est le sens même du Courant Constructif que de faire émerger une proposition structurée d’évolution systémique combinant toutes les solutions émergentes en une vision unifiée, large et puissante.  Dans la bataille des récits qui s’annonce, soyons assurés que le récit constructif d’une grande transition systémique basée sur la résilience créatrice de l’humanité peut largement l’emporter si nous nous donnons la peine de le soutenir. Le complotisme naît de la méfiance et de l’insatisfaction suscitée par le pourrissement de la modernité. L’accouchement de la postmodernité pourra seule mettre fin à la dynamique réactionnelle générale dont le complotisme n’est qu’un des aspects.

Nous devons, en somme, créer un nouvel horizon de sens. Car la montée de l’irrationnel n’est qu’un symptôme du désenchantement induit par la modernité rationaliste, et non l’inverse. C’est parce que la modernité ne fait plus sens que nous désinvestissons la rationalité qu’elle nous propose pour investir d’autres horizons de sens. Aussi, si nous voulons traiter le problème du complotisme à sa racine, nous ne devons pas seulement revaloriser l’héritage de la rationalité occidentale, nous devons recréer du sens. Quelque part, le  complotiste s’efforce, à sa manière, de recréer du sens, de se positionner dans une bataille qui fait sens, de saisir le sens de ce monde, de s’engager dans une résistance qui le place dans le camp du bien et des justes. Quand la complexité est telle que le sens semble perdu, les simplifications binaires sont une tentation de l’esprit pour retrouver du sens. Il faut donc répondre à l’irrationalité non pas seulement par du rationnel, mais par du sens. Retrouver le sens perdu de la modernité, mais peut-être aussi, inventer le sens de la postmodernité.

Benjamin Rodier, pour Courant Constructif

 
 
 

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